OLYMPE AUTOUR DU MONDE

Cette rubrique est consacrée à des portraits de personnages croisés au hasard de nos rencontres et méritants, à notre sens, que nous nous attardions sur leur personnalité, leur parcours ou leur caractère exceptionnel au sens étymologique du mot. C'est aussi l'envie que nous avons d'en garder un souvenir pour ce qu'ils nous ont apporté de richesse, de surprise ou d'étonnement. Ils resteront généralement gravés dans notre mémoire.

WILLIAMS, LE GUIDE BRESILIEN

Nous remontons la côte brésilienne depuis Rio et faisons escale à Recife près de laquelle se situe une très belle ville coloniale classée au patrimoine mondial par l'Unesco : Olinda. Descendant du bus emprunté pour arriver à l'entrée de la ville, un groupe d'hommes en polo jaune discute de l'autre côté de la rue. S'en détache alors un qui vient près de nous pour nous proposer ses services de guide dans la ville historique.

D'abord réticent sur le principe, mais aussi parce qu'il nous a fait son discours en portugais que nous ne comprenons pas, à notre demande il nous répond en anglais puis en français ! Depuis plus d'un mois que nous parcourons le Brésil, cela ne doit être que la seconde ou troisième fois que nous croisons un polyglotte ! La raison en est sans doute que l'enseignement des langues étrangères à l'école est une option payante.

Et puis son polo sur lequel étaient inscrit son nom, un numéro de guide et le nom d'une association semblait confirmer son appartenance à une instance officielle. Souriant et sympathique, il gagna rapidement notre confiance et nous acceptâmes de tenter l'expérience ; nous n'aurons pas à le regretter.

Il nous conduisit tout au long de la journée dans les différents quartiers de la vieille ville et ses nombreux édifices religieux, nous commentant l'histoire, grande et petite avec ses anecdotes et avec beaucoup d'humour. Un couple de hollandais s'étant joint à nous en cours de route, il effectua alors tous ses commentaires successivement en français et en anglais avec une grande facilité.

Intrigués par le personnage, nous lui demandâmes s'il avait vécu à l'étranger ou s'il avait appris les langues étrangères uniquement à l'école. Sa réponse fut sidérante : il n'a jamais été à l'école ! Né de parents portés sur la boisson, il fut un enfant battu dès l'âge de deux ans jusqu'à cinq ans où il quitte ses parents pour partir vivre dans la rue, comme des milliers de gamins de ce pays.

Il vivra alors d'expédients jusqu'à l'âge de 12 ans, faisant bien entendu des bêtises, touchant à la drogue et mendiant auprès des touristes qui le fascinaient et qu'il écoutait parler pour tenter de les comprendre. C'est ainsi qu'il acquit ses premières bases de langues étrangères !

A 12 ans, il est recueilli par une association en charge de récupérer les jeunes qui peuvent encore l'être ; petit à petit, il se "normalisera", prenant conscience de la chance dont il bénéficie pour s'en sortir. Aujourd'hui, à 39 ans, marié et père d'une petite fille, il travaille à son tour pour cette association pour sauver d'autres jeunes ; 80% des gains des guides de la ville qui font tous partie de l'association sont reversés pour le financement de ses actions.

Voilà une bien belle histoire qui, si elle est véridique, mérite d'être connue, car, après coup, nous avons eu un doute ; mais il est vrai que c'est à notre demande qu'il s'est ainsi livré à nous, et non spontanément pour attendrir le client. Alors accordons-lui le bénéfice du doute !

ANNA, CITOYENNE DU MONDE

Nous voici à Queenstown en Nouvelle-Zélande; si la culture maori y a encore droit de cité, c'est tout de même devenu un pays à culture largement prépondérante occidentale européenne et il ne nous semblait pas évident d'avoir l'opportunité d'une rencontre un peu hors de nos normes. Jusqu'à ce que...

Jusqu'à ce que le captain soit obligé de descendre à la réception de notre hôtel (une enseigne bien connue du groupe Accor) pour expliquer que la carte magnétique servant à l'ouverture de la chambre n'était pas programmée pour la nuit supplémentaire que nous avions souhaitée passer. L'assistante manager nous en donne aussitôt une autre en nous demandant dans un français parfait si par hasard nous ne parlerions pas…français; comment avait-elle deviné?!

La conversation s'engage rapidement, surtout quand à sa question apparemment habituelle "vous êtes en Nouvelle-Zélande pour combien de jours?" nous lui répondons "entre quatre et cinq mois"; Anna, tel est son prénom gravé sur son badge, est d'une intelligence vive et d'une curiosité tout aussi développée et notre réponse l'interpelle.

Nous lui expliquons alors que nous effectuons un tour du monde à la voile, que nous avons quitté la France il y a deux ans et demi et que nous avons encore une bonne année et demi à naviguer avant de retrouver le pays; elle est manifestement émerveillée et trouve que nous avons une chance folle (nous aussi d'ailleurs!). Mais nous la "cuisinons" également, lui demandant où a-t-elle bien pu apprendre un français aussi parfait et sans accent; "Je suis née à Paris, c'est ma langue maternelle". Mais alors, l'anglais parfait? "Je ne me souviens pas l'avoir appris étant jeune"! Il y a vraiment des inégalités de don linguistique!

Puis, lui ayant indiqué que nous étions passé en Colombie à Carthagène, elle nous demanda si la ville était sympa et s'il n'y avait pas de problème d'insécurité car "c'est mon prochain poste d'assistante manager dans quelques mois; j'avais envie de reparler espagnol et j'ai demandé et obtenu un poste"; car la jeune demoiselle parle tout aussi bien l'espagnol et le portugais du Brésil que l'anglais et le français!!!

Certes, étant jeune, elle a suivi ses parents dans de nombreux pays et y a appris les langues apparemment sans effort. Sa mère travaille pour la communauté européenne, son père, ingénieur sécurité dans l'industrie nucléaire, a aussi beaucoup voyagé et a sans doute été l'un des interlocuteurs de l'ancienne société du captain! Monde, comme tu es petit…

Mais elle n'a pas l'intention d'en rester là; à 24 ans, elle avait déjà mis les pieds sur les cinq continents et elle n'en a aujourd'hui que 26! Elle nous offrit gentiment un pot au bar où nous passâmes un bon moment à écouter sa passion des voyages et des rencontres, à tisser des liens partout où elle passe et Dieu sait si elle semble être douée pour ça! Encore si jeune et déjà une expérience et une maturité exceptionnelle, Anna est de ces gens qui ont une ouverture d'esprit leur apportant compréhension et tolérance, mais qui peuvent aussi, par comparaison, porter des jugements sévères sur certains comportements d'enfants gâtés de nos sociétés de consommation pourries par l'abondance.

Et si on rêvait que le monde soit peuplé en majorité de personnes telles qu'Anna, ne croyez-vous pas que la compréhension entre les peuples ne serait pas meilleure?

A bientôt Anna, à Rio, à New-York ou peut-être à Pékin, qui sait?

SEBASTIANO, LE NAVIGATEUR SOLITAIRE

Marina Taina à Tahiti, début décembre 2009, un vieux ketch Halberg-Rassy de 36 pieds vient prendre la place laissée par Raphaël, notre dernier ami suisse que nous avions croisé aux Marquises et parti quelques jours plus tôt. Le bateau ressemble à un capharnaüm flottant avec tout ce que l'on peut imaginer de matériels nécessaires à la navigation au long cours entassés sur le pont, y comprise une annexe rigide, genre plate, suspendue à des bossoirs datant de la guerre de 14!

Trois jours passent sans que nous apercevions l'heureux propriétaire de ce musée ambulant; puis Maryse croise enfin l'équipage, lequel est essentiellement composé d'un seul homme qui navigue en solitaire depuis quatre années dans le Pacifique sud. L'homme intrigue, ne semble plus tout jeune, mais vit sa vie en parfaite connaissance des lieux; chaque matin, il se dirige à l'extrémité du quai et "pique" une tête dans le lagon pour se réveiller et sans doute en guise de douche. Puis nous le voyons partir à vélo faire ses courses au super marché le plus proche.

Un bonjour poli à chaque rencontre sur le quai, puis Maryse, n'y tenant plus, engage la conversation. Notre nouveau voisin est italien, arrive de Hawaï et attend son épouse qui doit le rejoindre d'ici quelques jours. Le sachant seul et célibataire encore un moment, Maryse, intriguée, l'invite à dîner à bord d'Olympe le 10 décembre.

C'est ainsi que nous ferons la connaissance de Sebastiano, sicilien d'origine. Chirurgien dentiste de profession basé à Milan, il a navigué toute sa vie autour du monde et saura nous conseiller pour notre futur passage du Cap de Bonne Espérance. Il nous raconte sa philosophie de navigation qui consiste pratiquement à ne jamais remplacer ce qui tombe en panne : pas de pilote mais un régulateur d'allure, plus de frigo mais l'achat chaque matin de glace pilée à la station service du coin et tout à l'avenant…

Il nous raconta comment il s'est fâché à vie avec ses meilleurs amis au cours d'une traversée mouvementée et nous expliqua que c'est la raison pour laquelle il ne navigue qu'avec son épouse ou seul; mais, ajoutera-t-il, comme son épouse est une adepte des régates et non de la grande croisière, il se retrouve donc seul à naviguer six mois dans l'année, partageant sa passion à mi-temps avec l'Italie depuis qu'il est à la retraite.

Nous passâmes une soirée très agréable en sa compagnie, dégustant la bouteille de vin blanc qu'il avait apportée, l'écoutant raconter ses aventures et prodiguer ses conseils en argumentant de ses mains et toujours avec le sourire. Rien ne semblait pouvoir le déstabiliser, il semblait avoir tout vécu tout en restant d'une humilité et d'une simplicité remarquable. Le style d'un homme simple qui domine son sujet sans pour autant vouloir donner des leçons…

Quelques jours plus tard, son épouse Gerda, hollandaise, est venue le rejoindre. Ce n'est sans doute pas un hasard si Maryse s'en est faite une véritable amie, malgré le peu de temps qu'elles ont pu passer ensemble. Elle nous apprit que Sebastiano avait perdu un précédent bateau lors d'un incendie qui lui avait laissé physiquement des traces, ce dont il ne parlait jamais.

Nous avons oublié de vous dire que Sebastiano est âgé de 85 ans! Et lorsque Gerda nous apprit qu'il avait décidé de mettre son bateau en vente, cela nous a fait mal.

Bon vent tout de même, Sebastiano!

TITAUA LA POLYNESIENNE

Baie d'Avea, au sud du lagon de l'île Huahine, l'île authentique. Nous y mouillons le 15 juillet pour plusieurs jours, face à une jolie plage de sable blanc sûrement prometteuse en coquillages de toutes sortes pour les collectionneuses du bord!

Un coup d'annexe et voilà Maryse prête à remplir son sac… Parcourant la plage, elle longe quelques modestes habitations faites de parpaings et de tôles ouvertes à tout vent. Devant l'une d'elle, une polynésienne lascive se prélasse dans son hamac; malgré un abord un peu réservé voire méfiant, la conversation s'engage sur les meilleurs coins pour trouver les plus beaux spécimens; mais de retour de la "chasse" la récolte était maigre! Titaua, tel est son prénom, invite alors Maryse chez elle pour lui montrer sa collection et lui donner quelques échantillons. Apprenant que les coquillages étaient en fait destinés à nos petits enfants, elle proposa à Maryse de revenir le lendemain, le temps de préparer des noix de coco garnies des quelques-unes des plus belles espèces.

C'est ainsi que le lendemain, accompagnée de Martine, Maryse retourna voir Titaua; mais c'était sans compter sur la qualité du relationnel de Maryse et, la confiance aidant, Titaua se mit à raconter sa vie pendant que Martine partait au centre du village. De son propre aveu, c'était ainsi la première fois qu'elle se confiait à des étrangers, les popas comme on les appelle ici (des étrangers blancs), qui ne lui inspirent que méfiance compte tenu du mépris parfois ressenti…

Titaua est une jeune polynésienne de 28 ans, née à Papeete. Elle est la quatrième d'une famille de 12 enfants et, lors de sa naissance, elle fût donnée à sa tante ( côté paternel) qui ne pouvait pas avoir d'enfants. Elle vit encore aujourd'hui très mal cette situation et elle en veut terriblement à ses parents biologiques, ne comprenant toujours pas pourquoi elle a été donnée, même si en Polynésie c'est chose courante! Ma vraie maman dit-elle, ce n'est pas ma mère biologique mais ma mère adoptive; elle ne veut plus voir ses vrais parents, n'appelle pas sa mère "maman" mais "hé" et dira même que ses frères et sœur ne sont que des cousins! Sur ses 11 frères et sœurs, 4 ont été donnés : 3 à des polynésiens et 1 à des popas.

Sa mère adoptive Teura, 58 ans, qu'elle appelle maman, est aide cuisinière dans une grande surface à la marina de Papeete. Son père adoptif est pêcheur. Après avoir été adoptée sa tante aura 2 filles et 2 garçons qu'elle considère comme ses vrais frères et sœurs.

Titaua a fait des études d'hôtellerie mais aujourd'hui ne travaille pas. Elle habite au centre de village de Parea, vit depuis 2001 avec un concubin parfois violent qui est cultivateur et a un fils de 3ans et demi, Taraunu, qu'elle élève seule.

Elle a travaillé quelques jours dans une ferme perlière, mais aujourd'hui elle surveille la maison de l'oncle du compagnon qui est cuisinier dans un hôtel, repasse du linge de temps en temps pour se faire un peu d'argent et fait des couronnes de fleurs à longueur d'année. Avec ses allocations, elle arrive ainsi à survivre dans ce qu'elle appelle son paradis; ne lui parlez pas en effet de Tahiti et de Papeete, ville du bruit, de la pollution et de l'insécurité : nous avions déjà entendu ce discours aux Marquises!

Titaua est une jeune femme sincère, généreuse, remplie de gentillesse. Elle avouera être ravie que l'on fasse son portrait car c'est la première fois que des popas lui prêtent vraiment attention.

Loin de notre France, une amitié est née sur cette petite plage de Huahine. Sans doute heureuse d'être enfin considérée, elle fera cadeau à Maryse avant notre départ d'une perle de culture en lui demandant de penser à elle, d'un dessus de lit en tissus polynésien blanc à fleurs roses ainsi que les taies assorties et nous offrit le pain pour notre petit déjeuner! Une fois encore se trouve confirmé que la générosité est souvent inversement proportionnelle aux moyens des donateurs…

Lui ayant promis de revenir la voir en octobre, elle nous préparera un lustre et un carillon en noix de coco et coquillages en échange de parfum de France que nous lui avons promis.

La vie de Titaua est sans doute le reflet de celle de nombreux polynésiens éloignés des circuits touristiques; mais nous aurons pu constater, comme le chantait le grand Charles, que la misère est souvent moins pénible au soleil!

A très bientôt, Titaua. 

VICTOR L'INDIEN KUNA

Nous sommes mouillés depuis moins de dix minutes à Chichime, petit archipel des îles San Blas le long des côtes du Panama, que nous voyons une pirogue se diriger vers nous; non, ce n'est pas vrai, le harcèlement de certaines îles des Antilles ne va pas recommencer dans ce coin réputé pour l'hospitalité des indiens Kunas qui vivent sur ces îlots paradisiaques?!

Il s'agit bien d'un indien Kuna; il vient nous souhaiter la bienvenue en nous apportant des fruits que, par un réflexe conditionné attrapé aux Antilles, nous souhaitons lui payer : que nenni, il s'agit d'un cadeau et nous avons failli le vexer. Il est vrai que nous n'avions pas l'habitude d'être ainsi accueillis! Il entame la conversation avec Maryse en espagnol, se présente, il s'appelle Victor, nous dit qu'il vit sur la petite île qui borde le mouillage derrière le bateau et qu'il serait très heureux de nous accueillir chez lui pour nous présenter sa famille.

Comment refuser une si aimable invitation qui, en outre, va nous permettre de mieux connaître le mode de vie de cette population aux mœurs si étranges? C'est d'accord, rendez-vous est pris pour l'après-midi à 16 heures.

A l'heure dite, nous débarquons avec l'annexe sur le rivage jouxtant sa "propriété"; celle-ci est constituée d'une cocoteraie remarquablement entretenue : pas une mauvaise herbe, le sol est entièrement ratissé. En bordure de plage, trois cases réalisées en bois, en bambou et en feuilles de cocotiers; l'une d'elle sert de cuisine, la seconde de chambre à coucher et la troisième est occupée par ses enfants.

Il nous accueille avec un grand sourire et nous présente sa femme, Elisa, deux de ses quatre enfants, des jumeaux fille et garçon de treize ans, Eliot et Maria, son perroquet et sa tortue de mer dont nous avons oublié les noms!

Nous nous installons dehors à l'ombre d'un auvent et entamons la conversation; il nous demande d'où nous venons, depuis combien de temps nous sommes partis et combien de temps nous comptions rester; à notre réponse lui indiquant notre départ pour le surlendemain, il parut désappointé, car il souhaitait nous inviter à déjeuner un jour!

Puis il nous raconta sa vie; il est né sur cet îlot, Tiadup, il y a une cinquantaine d'année; il a rencontré sa future femme sur une île voisine, se sont mariés comme le veut la tradition Kuna qui interdit l'union avec des non Kunas, puis se sont installés sur ce terrain; ils vivent de la culture des noix de cocos qui constituent la monnaie d'échange au sein de leur communauté, de la culture de la banane et de la pêche qu'il réalise à partir de sa pirogue qu'il mène à la pagaie, n'ayant pas les moyens de se payer un moteur.

Cette pirogue est son unique moyen de transport; il l'utilise pour emmener ses enfants à l'école sur une île voisine et pour emmener le résultat de sa pêche sur le marché du village situé sur le continent : trois heures pour y aller avec l'aide du vent, huit heures pour revenir contre celui-ci!

La nourriture est livrée par un "riche" voisin qui possède une pirogue à moteur, quant à l'eau potable, il va la chercher en pirogue sur une autre île où est installé un dessalinisateur; les paiements se font en monnaie locale, les noix de coco…

Pour compléter leurs revenus, Elisa confectionne des molas, espèces de patchwork réalisés dans une technique traditionnelle multi-couches, et des colliers et bracelets de perles dont les indiennes n'hésitent pas à se couvrir les jambes et les bras.

Sans électricité et sans eau courante et éloignés de tout, la vie n'est pas facile et, malgré les revenus fort modestes de leurs activités et leurs conditions de vie, nous avons été surpris de constater le niveau d'éducation de leurs enfants, habillés comme les jeunes européens et portant des appareils dentaires de bonne facture. Nous apprendrons plus tard que le gouvernement du Panama aide la population Kuna à maintenir ses traditions.

Victor nous a donné une leçon de courage et d'abnégation; à voir ces populations si pacifiques et si accueillantes, qui se contentent de si peu et qui sont prêtes à partager et à donner beaucoup, on ne peut que se remettre en question sur certaines certitudes ou valeurs de nos sociétés de consommation et du "toujours plus" réclamé comme un dû par certains!

Dommage, Victor, que nous ne puissions rester plus longtemps, nous aurions certainement bâti une belle amitié!


TREGOR ALIAS PANCHO

Il est 13h30 le 26 janvier 2009; nous arrivons à la Dominique, dans la baie du Roseau, capitale de l'île. Nous avions été prévenus par tous les guides nautiques qu'il fallait s'attendre à une armée de boats-boys plus ou moins insistants pour venir nous aborder et tenter de nous vendre toute sorte de produits et nous aider à mouiller.

Vous êtes au mouillage en fin d'après-midi dans la baie du Roseau, capitale de la Dominique; vous avez envie de découvrir l'intérieur de l'île dont on vous a rabâché sur les pontons et dans les guides la pauvreté et la dangerosité qui en découle. On prend son annexe (que l'on cadenasse à trois tours!) et l'on essaie de trouver un loueur de voiture dans la ville; il est trop tard, les deux sont fermés, et ce sera notre chance!

Pourquoi une chance nous demanderez-vous? Eh bien, nous constaterons le lendemain l'état du réseau routier, routes étroites et défoncées, l'absence totale de signalisation pour trouver la bonne direction et les sites remarquables à visiter; ajoutez à cela que l'on roule à gauche comme dans tout pays anglo-saxon et vous vous dites que vous avez évité des ennuis et en tout cas beaucoup de perte de temps. Et puis cela nous aura donné l'occasion de connaître Pancho!

Nous avons simplement fait ce que le boat-boy nous avait indiqué la veille: appeler en VHF sur le canal 16 et demander Pancho; celui-ci répond aussitôt, nous demande de passer sur le canal 6. Nous lui expliquons dans notre meilleur anglais l'objet de notre appel; au bout de quelques échanges, une voix féminine prend le relais dans un français parfait : notre amour propre de linguiste en prend subitement un coup! Nous lui demandons s'il est possible de trouver un taxi qui accepterait de nous faire visiter les principales curiosités du sud de l'île, bien sûr pour un prix raisonnable. Et bien sûr, c'est possible, sauf pour le prix; mais on se dit que le coût d'une journée de location et de l'essence ne serait pas beaucoup moins cher; en plus, nous aurons un guide qui non seulement nous fera gagner du temps mais aussi nous commentera ce que nous verrons et avec qui nous pourrons discuter du pays.

C'est ainsi que nous faisons la connaissance de "Pancho" qui est son nom de travail; en fait, il s'appelle Trégor James; c'est un rasta de la plus belle espèce qui se débrouille très bien en français! Et pour cause, la parfaite francophile est en fait sa femme, une bruxelloise qu'il a épousé il y a une dizaine d'années et avec laquelle il a appris notre belle langue et a eu deux enfants dont il est très fier, Samuel, cinq ans, et Matéo, deux ans; elle était hôtesse sur des bateaux de croisières basés en Martinique.

Il s'est très vite révélé comme un agréable compagnon de route, s'arrêtant pour nous faire découvrir la flore de son île, d'une incroyable diversité, nous conduisant sur les principaux sites à visiter aux alentours de Roseau qu'il connaît comme sa poche pour y être né et avec l'avantage de nous faire découvrir quelques coins éloignés des circuits touristiques habituels comme le "Ty Kwen Go Chô" (voir escales en Dominique)

Quand on lui demande ce qu'il fait dans la vie, il répond qu'il est une entreprise de services; il a parfaitement assimilé cette notion de service global. C'est ainsi que nous apprenons que le boat-boy qui nous a accueilli la veille travaille pour lui, qu'il possède la majorité des bouées de mouillage de la baie qu'il loue à la nuit aux plaisanciers ou à l'année aux bateaux de plongée locaux, qu'il fait le taxi, et le guide touristique, qu'il peut faire du convoyage de bateaux, qu'il propose des chambres d'hôtes et qu'il pourrait faire encore bien d'autres choses : il n'a pas de MBA en gestion d'entreprise, mais a parfaitement assimilé à son niveau les méthodes marketing et l'économie de marché!

Quand on lui demande comment va le "business", il nous répond "trop bien"!
Nous avons aussi de bonnes raisons de croire qu'il n'est pas insensible aux plaisirs herbacés habituels des rastas!

Sa gentillesse et sa bonne humeur nous ont touchés et, encore une fois, nous avons vérifié qu'il faut bien se méfier des clichés tout faits et véhiculés à tort par des gens qui les ont simplement lus ou entendus sans vérifier par eux-mêmes.

Nous te souhaitons un bon business, Trégor, non, pardon, Pancho!

OLIVIER

La scène se passe l'avant-veille de notre départ d'Agadir pour les Canaries. Un individu hirsute et barbu à vélo demande au captain dans un français parfait si par hasard il ne partirait pas pour les Canaries. La réponse étant positive, il explique alors qu'il a entamé un tour du monde en vélo et bateau stop pour assouvir sa passion du parapente et voler à partir des sommets de chaque pays visité. Il cherche à se rendre au Brésil, et, pour cela, pense qu'il aura plus de chance de trouver d'abord un bateau pour les Canaries, puis un autre pour les îles du Cap Vert, point de départ habituel pour les traversées vers le Brésil.

Intrigué et admiratif, le captain donne son accord de principe, sous réserve de l'accord de Madame, laquelle suivra sous réserve de s'assurer que notre passager ne transporte aucune matière illicite.

Il s'appelle Olivier, comme notre dernier fils, est âgé de 28 ans (deux de plus que "notre" Olivier), est aussi épais que lui et partage le même coiffeur, Maryse ne peut s'empêcher de faire la comparaison!

Comme lui, il adore les voyages : ils ont déjà bien roulé leurs bosses tous les deux, il est le deuxième enfant d'une famille de quatre, décidément, les coïncidences deviennent nombreuses!

Le jour du départ, Olivier arrive rasé de frais avec son vélo et son barda, en tout quelques 70 kilos qu'il mène entre 15 et 20 km/h de moyenne depuis Grenoble d'où il est parti mi-juillet; les connaisseurs apprécieront!

Ingénieur mécanicien de formation, il a travaillé le temps d'économiser assez d'argent pour partir (pas encore pour arriver), son tour du monde à lui devant durer 4 ans.

Les deux jours de navigation et les deux jours passés ensemble à Lanzarote nous ont permis de découvrir un garçon intéressant, passionné et courageux, aux talents multiples : sportif de haut niveau, photographe et cuisinier de talent, informaticien récupérateur de fichiers d'images effacées…

Il nous a quitté le mardi matin, après avoir bien récupéré de la fatigue accumulée, profité de notre ordinateur pour mettre à jour son courrier électronique et ses fichiers images et réparer la béquille de son vélo avec les moyens du bord d'Olympe.

Maryse et moi étions tristes mais admiratifs de le voir partir pour ses nouvelles aventures que nous suivrons désormais sur son site : www.enrouteavecaile.com
Mais quelque chose nous dit que nos routes se recroiseront sans doute…

RACHID

Imaginez-vous perdu aux portes du désert marocain; qu'elle vous semble loin la dite civilisation dans cet oasis, loin du monde et des foules, des bruits de la ville et de la circulation automobile, de nos tracas si souvent dérisoires. Qu'elle vous semble dure la vie de ces berbères, sous la chaleur écrasante du soleil, sur ce sol aride, pauvre, sur lequel rien ne pousse et grâce auquel cependant ils arrivent à survivre, mais au prix de quels efforts!

Comment imaginer, dans cet univers hostile, que les femmes et les hommes, contraints d'endurer de telles conditions de vie, ne soient pas hors du temps, de notre temps, durs à la tâche et loin de toute préoccupation culturelle ou intellectuelle, et ceci sans jugement de valeur aucun? C'est en tout cas le dernier endroit où l'on s'attendrait à faire une rencontre comme celle qui nous a été donné de faire avec Rachid.

Il n'a pas 30 ans, habite avec sa femme et toute sa famille une de ces maisons faites de terre et de paille, remarquablement isolée de la chaleur extérieure; il nous accueille pour nous offrir le thé à la menthe et le pain maison. Et le voilà nous expliquant dans un français parfait et sans accent, avec un vocabulaire choisi, bien au dessus de la moyenne de nos compatriotes, la façon de faire le thé, démonstration à l'appui, en éliminant son amertume.

Puis ayant expliqué les origines de son ethnie, mélange de Malien et de Mauritanien, expliquant la couleur de la peau des berbères de la région, il nous conte ses moyens de subsistance liés à la culture de légumes au bord de l'oued, des bananes, nous explique les problèmes de pollinisation des dattiers.

Il se dégage de sa personne une tranquille assurance et joie de vivre, quand il nous raconte ses journées passées à dos de mulet pour emmener le produit de son travail au marché de Ouarzazate. Et comment il a participé à la réflexion qui a conduit à l'installation de panneaux solaires pour le fonctionnement d'une pompe de relevage de l'eau d'un puit pour remplir un château d'eau alimentant depuis peu ce qu'il convient d'appeler un village. Comment un homme de cette intelligence peut-il donc se contenter de ce style de vie?

Etonnés par le personnage, nous lui demandons si son français parfait est le fruit d'un séjour en France. Non, il n'y a jamais mis les pieds, il a appris notre langue à l'école, école primaire s'entend, puisqu'au Maroc, pour obtenir une bourse permettant d'aller au collège, il faut être parmi les trois premiers de la classe; nous étonnant qu'il n'ait pas été dans ce trio de tête, il nous explique qu'il était le premier, mais qu'il a laissé sa place à un autre enfant qui n'avait plus de parents.

Mais il continue à étudier : dès qu'il a quelques maigres économies, il les utilise pour prendre des cours d'anglais et d'espagnol, juste pour le fun!

On n'ose imaginer ce qu'il serait devenu s'il avait poursuivi ses études; peut-être y aurait-il perdu un peu de sa sagesse? Tout d'un coup, nous nous sentions ridicules, déguisés en touristes avec nos appareils photo! C'est lui qui nous apportait, nous qui recevions.

Au moment des photos souvenirs, il eut cette réflexion : voilà, c'est dans la boîte! Oui, Rachid, c'est non seulement dans la boîte, mais plus fortement dans notre mémoire et dans notre cœur. Bonne chance à toi et à ton fils, ton pays a besoin d'hommes de ta trempe.


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