OLYMPE AUTOUR DU MONDE

ARCHIPEL DU CAP VERT

L'explication de notre choix

L'archipel du Cap Vert, situé au large de l'Afrique de l'ouest à près de 600 Km au large du cap sénégalais du même nom, n'est pas encore une destination touristique ni très connue ni donc très fréquentée. Il est cependant depuis longtemps une escale prisée des navigateurs à destination du Brésil ou des Caraïbes, car elle permet de raccourcir la traversée de l'Atlantique vers ces destinations par rapport à un départ des Canaries.

Nous avons donc choisi également cette option et la question était de savoir si nous en profiterions pour approfondir la visite de cet archipel ou si ce ne serait pour nous qu'une escale technique. Une visite complète de tout l'archipel demanderait au moins deux mois, tant chaque île a sa spécificité; nous n'avons pas ce temps. Par contre, ne faire qu'un arrêt de circonstance pour refaire les pleins serait par trop réducteur et nous disposons tout de même de deux à trois semaines avant d'entamer la traversée vers les Antilles pour attendre à la fois la fin de la saison cyclonique et la mise en place des alizés.

Puisqu'il faut donc s'en tenir à une ou deux îles, reste à définir lesquelles. Trois d'entre elles seulement permettent de faire les formalités d'entrée et de sortie du territoire : l'île de Sal à l'extrémité nord-est, l'île de Santiago au sud avec la capitale Praia et l'île de Sao Vicente au nord-ouest avec la capitale culturelle Mindelo. La réputation de l'île de Sal n'étant pas très bonne en terme de sécurité (peut-être à tort) Maryse a souhaité l'écarter de notre route. Restait alors le choix entre Santiago et Sao Vicente; nous avons opté pour cette dernière pour deux raisons : la réputation de Mindelo comme centre culturel de l'archipel, notamment sur le plan musical (peut-être pourrions-nous assister à un concert de Césaria Evora, la chanteuse aux pieds nus) et la proximité de l'île de Santo Antao, la plus belle et la plus luxuriante des îles. En outre, ces deux îles sont les plus à l'ouest de l'archipel et donc parfaites pour un départ de transatlantique.

Un peu de géographie

Situé à 800 milles au sud des Canaries et à 325 milles des côtes africaines de l'ouest, l'archipel est constitué d'une dizaine d'îles principales et quatre plus petites formant un fer à cheval ouvert vers l'ouest; on distingue deux groupes d'îles, les îles au vent (Barlavento) : Santo Antao, Sao Vicente, Sao Nicolau, Santa Luzia, Sal et Boa Vista et les îles sous le vent (Sotavento) : Santiago, Maio, Fogo et Brava.

La formation de ces îles, datant d'environ 120 millions d'années, est essentiellement due à des phénomènes volcaniques. Le climat est influencé par les deux vents dominants que sont l'alizé du nord-est et l'harmattan (vent chaud et sec en provenance du Sahara) qui sont responsables de l'aridité de ces îles victimes depuis plusieurs décennies d'une désertification par manque de pluies. L'irrégularité des précipitations d'une année sur l'autre est en effet un caractère commun à toutes ces îles, les précipitations, rares, pouvant y être très violentes. Le climat général est donc de type tropical sec, avec un peu d'humidité sur les îles situées les plus à l'ouest, notamment Santo Antao grâce à son important relief. La température annuelle moyenne est de 24°C, avec une amplitude ne dépassant pas 10° à cause de l'influence de l'océan.

On peut distinguer deux types d'îles : Les îles montagneuses que sont Santiago, Fogo, Brava, Sao Nicolau et Santo Antao, et les îles de plage, plates et sableuses, les plus anciennes, que sont Sal, Boa Vista, Maio et Sao Vicente.

L'économie de ces îles est essentiellement tournée vers l'agriculture, difficile compte tenu des conditions climatiques décrites ci-dessus. On y cultive surtout la canne à sucre (surtout sur Santo Antao, l'île du grogue), du maïs à la triste mine compte tenu du manque d'eau, quelques fruits, essentiellement bananes et oranges. Toutefois, la production n'est pas autosuffisante ce qui nécessite de recourir à des importations rendant la vie très chère pour le niveau de vie très bas des capverdiens.

La pêche constitue également une activité importante mais essentiellement artisanale : pas de grandes flottilles de pêche comme on a pu en observer au Maroc. Le poisson est ainsi à la base de l'alimentation d'une grande partie de la population.

Comme nous l'avons déjà indiqué, le tourisme n'y est pas encore développé; aussi, la plus grande source de revenus de ces îles reste les aides importantes des pays occidentaux; pratiquement, chaque île est "parrainée" par un voire deux pays : les USA, l'Allemagne, la France, l'Italie et le Luxembourg sont les principaux "parrains".

Malgré ces conditions difficiles, il faut noter deux éléments très positifs : tout d'abord, le taux d'analphabétisme est bien inférieur à celui rencontré sur le continent africain, se situant à 25% de la population; le taux de scolarisation primaire y est de 95% et de tout niveau de 62%. Ensuite, les statistiques d'espérance de vie (70 ans) et de mortalité infantile (50 pour mille) sont bien meilleures que celles de la plupart des pays du continent voisin.

Un peu d'histoire

La découverte de ces îles est attribuée aux navigateurs portugais Diego Gomes et Antonio da Nola entre 1450 et 1460, pratiquement un demi siècle après celle de l'archipel de Madère. Mais on pense que ces îles étaient déjà connues des romains, des phéniciens et des arabes, même si elles n'étaient pas habitées.

Les premiers colons portugais y développèrent un commerce triangulaire entre l'Afrique, d'où ils ramenaient des esclaves qu'ils revendaient en Amérique contre du sucre, du coton, de l'indigo et d'autres produits agricoles qu'ils négociaient ensuite en Europe. Le Cap Vert, principalement l'île de Santiago, devint une plaque tournante de l'esclavagisme transatlantique à destination des Antilles et du Brésil au profit de quelques familles privilégiées entre les années 1475 et 1575.

Il fallut attendre le 18ème siècle pour que les premières campagnes abolitionnistes voient le jour, et l'année 1876 pour que les décrets d'abolition ne sortent.

Le siècle suivant connut de terribles sécheresses et famines contraignant de nombreux capverdiens à émigrer. Ceux qui restaient étaient soumis à la terrible dictature de Salazar. Pendant cette période, la population du Cap Vert connut un important métissage. La lutte pour l'indépendance s'amorça en fait sur le continent africain, en Guinée-Bissau, soumise au même colonisateur. C'est au début des années 60 qu'un certain Amilcar Cabral, de mère guinéenne et de père capverdien, fonda le PAIGC (parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert). Mais son assassinat en 1973 creusa le fossé entre les deux pays dont les histoires divergèrent alors.

Après la révolution des oeillets, le gouvernement portugais accorda l'indépendance à la Guinée puis, en 1975, celle du Cap Vert devenu alors République du Cap Vert.

Sao Vicente

C'est le mercredi 12 novembre que nous entrâmes dans la baie de Mindelo, anciennement Porto Grande, sous un ciel voilé par une brume de chaleur assez dense. Le guide nautique Imray met en garde contre des épaves assez nombreuses dans la baie et un fonctionnement assez aléatoire des feux. C'est la raison pour laquelle nous avons régulé notre allure pour arriver de jour.

En entrant dans la baie, nous sommes passés entre l'îlot dos Passaros et la Ponta Joao Ribeiro pour nous diriger vers l'extrémité du môle des ferries et rejoindre le mouillage. Bonne surprise, une marina toute neuve est installée au fond de la baie devant le centre ville; on évitera ainsi le mouillage et les incessants allers-retours en annexe.

Après l'accueil chaleureux de l'équipage de Xara of Hamble (voir le carnet de bord "Canaries-Cap Vert"), nous débarquons aussitôt et sortons de la marina pour nous retrouver en ville; il est trop tard pour effectuer les formalités d'entrée, nous nous en occuperons donc le lendemain. Mais aussitôt, on ressent quelque chose de fort; à quoi tient ce sentiment indicible de bien-être? Est-ce les sourires des premiers capverdiens rencontrés, majoritairement métissés, à l'allure fière et élégante (la "mal bouffe" n'a pas encore sévi ici), ou bien l'architecture de la ville, mélangeant bâtiments officiels bien entretenus et colorés et ruelles étroites bordées de maisons délabrées, ou bien encore les petits commerces, essentiellement alimentaires, qui ont bien du mal à proposer le minimum vital, ou bien les marchandes de fruits et légumes ou de poissons, installées à même les trottoirs, tentant d'écouler pour vivre leurs maigres étalages, ou bien est-ce encore le décor de cette baie entourant la ville avec ses reliefs en arrière-plan rappelant, en moins grandiose bien sûr, la baie de Rio? On en prend plein les yeux et on sent instinctivement que notre voyage a vraiment commencé : on a quitté l'occident et ses abondances pour un dépaysement géographique et culturel total et attachant. On sent que ce pays est un pays de contrastes, le résultat d'un mélange de cultures venues de divers horizons. Comme le décrit fort bien l'excellent guide Olizane sur le Cap Vert : "on y fête le carnaval comme au Brésil, on s'habille à l'européenne et on porte les enfants dans le dos comme en Afrique". Voilà qui résume parfaitement les premières impressions ressenties lors de nos premiers pas à Mindelo.

En fait, quand on parle de l'île de Sao Vicente, on veut parler essentiellement de la ville de Mindelo, la deuxième de l'archipel après la capitale Praia sur Santiago; cette dernière est la ville industrieuse alors que Mindelo est la ville des arts, du carnaval et de la musique; c'est aussi tous les clichés attachés aux cités portuaires avec leurs marins de passage.

Le lendemain de notre arrivée, il nous faut nous occuper des formalités d'entrée dans le pays; on peut toujours craindre dans ce type de contrée un zèle excessif des administrations (comme au Maroc par exemple). En fait, il n'en fut rien : en cinq minutes nous avions bouclé le formulaire de police et il ne fallut pas plus de temps à la douane pour que le représentant de cette administration ne remplisse avec trois stylos de couleurs différentes un énorme registre des entrées et sorties du territoire.

La seule anecdote amusante en cette occasion fut l'entrée dans le port de commerce où se situe la douane. Etant venu à pied, le captain se dirige vers l'immense portail double ouvert en permanence pour le passage des camions et voitures; il se fait refouler et se fait diriger vers le portillon fermé situé juste à côté où il fallut attendre le préposé au portillon et sa carte magnétique pour passer! Bien entendu, même obstination du captain à la sortie et même obstination du planton de service, mais toujours avec le sourire! Promis, pour les formalités de sortie, on ira directement au portillon…

Puis, avec Maryse, nous entamâmes un tour plus complet de la ville et de son repérage pour les futurs approvisionnements. Dès la sortie de la marina, on tombe sur un monument bizarre surmonté d'un aigle, édifié à la mémoire de deux aviateurs portugais, Cabral et Coutinho, qui, en 1922, ont entrepris la première traversée Lisbonne Rio en hydravion via les Canaries et Mindelo où ils se sont reposés.

A quelques pas en continuant le long de la mer, se trouve une réplique, en plus modeste, de la tour de Belem de Lisbonne, construite au début du 20ème siècle. Elle fut quelque temps le siège de l'administrateur portugais de Sao Vicente, mais fut vite abandonnée et a été récemment restaurée.

Plus loin encore, on tombe sur le marché aux poissons haut en couleur grâce aux "mamas" capverdiennes qui vendent le poisson et aux pêcheurs apportant leurs prises deux fois par jour et découpant avec dextérité à la machette les thons du jour, le tout dans des conditions d'hygiène "locales" : pas de glace, les mouches et les chats étant souvent plus nombreux que les clients!

Puis en continuant, on arrive au bout de l'avenue Amilcar Cabral nous obligeant ainsi à quitter le front de mer pour atteindre la place Estrela, la plus grande de la ville, où sont situées de nombreuses échoppes de produits de toute sorte, essentiellement vestimentaires et souvenirs. Ces échoppes sont pour la plupart décorées de faïences bleues, des azulejos, dans la plus pure tradition portugaise. Maryse "flachera" sur une robe "Bob Marley" mais saura se retenir… quelque temps!

Nous reviendrons ensuite vers le centre de la ville par une petite ruelle typique avec ses marchandes de légumes, fruits ou poissons installées à même le trottoir. Nous arriverons ainsi rue de Lisbonne avec en perspective le palais du gouverneur, immense bâtisse coloniale aux tons rose et blanc, devenue aujourd'hui tribunal de commerce, et le marché central, grand bâtiment gris de style un peu art-déco.

Nous reviendrons en passant devant l'hôtel de ville, puis nous nous arrêterons à l'Alliance Française afin d'obtenir des renseignements sur ce qui est intéressant à faire et à visiter. Nous y serons fort bien reçus par une française récemment arrivée à Mindelo et qui avait l'intention de s'y installer définitivement avec sa famille pour monter un restaurant. Elle nous donnera entre autre le bon conseil d'aller visiter l'île voisine, Santo Antao, la plus belle de tout l'archipel de l'avis de nombreux visiteurs. C'est également dans ces locaux que nous verrons l'affiche d'un prochain concert de Bau, alias Rufino Almeida, ancien musicien et arrangeur de Césaria Evora et que nous déciderons d'y assister le samedi soir suivant; quant à notre désir d'assister à un concert de cette dernière, il nous faudra malheureusement y renoncer, la "chanteuse aux pieds nus" étant partie en tournée internationale pendant toute la durée de notre séjour.

Cette première journée complète à Mindelo a parfaitement confirmé nos impressions de la veille; celles-ci n'étaient pas dues à un sevrage terrestre ou une quelconque euphorie liée à la fin de notre traversée. Nous étions maintenant sûrs que nous allions aimer! Et pour compléter le tableau, il y avait sur notre ponton une ambiance formidable; nous étions entourés de couples avec lesquels nous avons sympathisé immédiatement : Martine et Christian bien sûr, sur Xara of Hamble que nous retrouvions pour la cinquième fois après Grand Canarie, Ténérife, La Palma et Gomera, en partance pour le Brésil, Geneviève et François sur Ultreïa, un couple de jeunes retraités déjà rencontrés à La Palma et Gomera, effectuant un tour de l'Atlantique, cadeau d'anniversaire de Geneviève pour ses soixante ans, Monique et Jean-Claude sur Renata, effectuant également un tour de sept mois autour de l'Atlantique nord, Nathalie et Richard sur Marie-Alice en partance pour le Brésil, Françoise et Fernando qui attendait le bon moment pour traverser vers les Antilles, Lauriane, Laurent et leurs deux enfants partis 11 mois pour un tour de l'Atlantique, Colette et Gérard déjà "tour du mondistes", en attente de traversée vers les Antilles.

Puis, quelques jours plus tard, sont venus s'ajouter à la liste Françoise et Jean-François de Brise du Sud, l'autre Super Maramu de Trébeurden déjà croisé à Ténérife, en provenance de Dakar et faisant escale à Mindelo dans le cadre du Rallye des Iles du Soleil, et Mireille et Pierre sur Maloya, que nous avions déjà rencontrés à Grand Canarie.

Dans ce tableau idyllique, il fallait bien quelques fausses notes : celles-ci vinrent de la marina; bien sûr, il ne faut pas cracher dans la soupe, nous étions très heureux de pouvoir nous amarrer à un ponton plutôt que de mouiller dans la baie, mais compte tenu du prix pratiqué (le plus élevé et de loin depuis notre départ), on aurait pu s'attendre à avoir des sanitaires, il n'y en avait pas, avoir du 220 volts et non du 186 volts perturbant nombre d'équipements dont les chargeurs de batteries, avoir un patron (un allemand associé à Kai Brossmann présent ici depuis de longues années) plus aimable qu'une porte de prison. Heureusement que l'ensemble du personnel (nombreux par ailleurs) était d'une grande gentillesse et serviabilité tout en faisant avec "les moyens du bord". Nous pensons en particulier à Touga, travaillant le jour pour la marina, la nuit pour son compte à réparer les voiles des bateaux. Lui exposant notre problème d'alternateur d'arbre en panne, il nous indiquera un électricien, "un bon professionnel", qui viendra quelques jours plus tard les mains dans les poches, donc sans outils, démonter et emmener notre si précieux générateur de courant, sans connaître ni son nom ni son adresse : angoisse…

Nous n'avons donc pas tardé à prendre un rythme capverdien, alternant petites grasses matinées, promenades dans la ville, soirées au "clube nautico" avec les amis navigateurs, apéritifs à bord des uns ou des autres…! Le temps est au beau fixe, entre 28°C et 31°C tous les jours, ciel sans nuage, nuits à 27°C; c'est une chaleur sèche, donc très supportable.

Le samedi, comme prévu, nous nous sommes rendus au Mindel-hôtel assister au concert de Bau, le meilleur guitariste actuel de l'archipel, également compositeur, aussi à l'aise à la guitare qu'au cavaquinho, petite guitare à quatre cordes, ou qu'au violon. Son talent lui a valu d'obtenir un passeport diplomatique de son pays, au même titre que Césaria Evora. Ce soir là, il était accompagné d'un flûtiste et saxophoniste, d'un batteur, d'un bassiste et d'un claviériste. Ce fut un régal et nous nous sommes promis de chercher quelques CD de cet artiste. Toutes ses compositions vous accrochent l'oreille, par leur mélodie et leur rythme souvent lent et mélancolique. Son titre "Raquel" fut retenu par Pedro Almodovar pour la bande originale de son film "Parle avec elle".

Deux anecdotes démontrent s'il en était besoin la gentillesse du peuple capverdien : quelques jours après le concert de Bau, Maryse voulut trouver des CD de cet artiste; on lui indique le nom d'une boutique qu'elle n'arrive pas à trouver; elle entre dans une pharmacie pour demander son chemin et, sans attendre, le pharmacien laisse tout tomber pour la conduire à la boutique en lui racontant (en espagnol) qu'il connaît bien Bau, qu'il n'a pas encore acheté son dernier disque et qu'il compte bien sur elle pour lui dire ce qu'elle en pense! Bien entendu, elle y retournera plus tard pour lui dire tout le bien que nous pensions du disque, ce qui lui valut une bise du pharmacien qui, une nouvelle fois, avait tout arrêté en la reconnaissant.

Une autre fois, nous cherchions une boulangerie dite française dans un quartier de la ville; ne la trouvant pas, nous nous adressons à une capverdienne dans la rue qui se détourne pour nous y conduire.

Santo Antao

Le lendemain, nous avions prévu de visiter l'île de Santo Antao en compagnie de Monique et Jean-Claude; rentrés de notre concert à 3 heures du matin, le lever fut assez difficile pour aller prendre le ferry de 7h30! Nous avions prévu de passer trois jours sur cette île et l'absence de mouillage sûr et de port nous avait fait préférer cette solution.

Après une petite heure de traversée, nous débarquâmes sur le quai de Porto Novo dans une ambiance typiquement africaine : comme dans chaque port d'une île isolée, l'arrivée du bateau est un événement; entre le déchargement des voyageurs, des véhicules dont les poids lourds transportant des produits improbables, l'attente des familles et amis, la bousculade des aluguers, taxis collectifs dont les chauffeurs vous racolent à peine le pied posé à terre, l'ambiance est bruyante et colorée.

Nous n'eûmes pas de mal à trouver un aluguer se rendant à Ribeira Grande, la ville principale située au nord-est de l'île; une fois installés, nous dûmes attendre qu'il soit plein de voyageurs et de bagages pour démarrer. Après quelques rues parcourues dans Porto Novo, il prit la direction des premiers contreforts sud de l'île, assez arides comme nous l'avons souvent constaté sur les îles précédentes. Cette route, entièrement pavée, est réellement magnifique et, au fur et à mesure de l'ascension vers le centre de l'île, celle-ci devient de plus en plus verdoyante et boisée, montrant un paysage radicalement différent de sa voisine Sao Vicente.

Nous nous fîmes déposer à mi-parcours près du cratère de Cova à presque 1000 mètres d'altitude pour entamer notre première randonnée qui devait nous conduire de ce cratère jusqu'à la côte est de l'île, à Paul, en descendant une vallée magnifique.

De l'arrêt de l'aluguer, nous avons donc pris un chemin pavé contournant le cratère de l'intérieur; première surprise, la terre y est fertile, l'intérieur du cratère est entièrement cultivé; nous en ferons la moitié du tour avant d'obliquer sur la droite et prendre un chemin montant jusqu'à la crête est du cratère pour découvrir un panorama grandiose : toute la vallée de Paul conduisant jusqu'à l'océan; celle-ci est luxuriante, extrêmement montagneuse avec des à-pic impressionnants. On dirait un paysage miniature de l'île de la Réunion! Quel contraste avec le sud de l'île et avec Sao Vicente!

Après avoir contemplé un bon moment ce paysage magnifique, il fallait bien entamer la descente; celle-ci commençait par un chemin extrêmement pentu sur les premiers kilomètres, avec de nombreux lacets : 77 exactement pour arriver au premier village, Cha de Manuel dos Santos! Nous y rencontrerons un jeune français d'une trentaine d'année qui y a déposé son sac voilà déjà dix ans et qui vend du grogue (rhum local), du ponche et de l'artisanat; il propose aussi deux chambres d'hôtes aux touristes de passage. Nous prendrons notre casse-croûte chez lui, heureux de pouvoir profiter d'un coin ombragé et de boissons rafraîchissantes, tant la chaleur était forte.

Nous reprendrons ensuite notre marche au sein de la vallée, admirant les cultures de canne à sucre mélangées aux bananiers, maïs, papayers, caféiers, arbres à pain et orangers. Il faut souligner le travail ingrat des paysans compte tenu de la typologie du terrain, très pentu. A cette période, les cannes à sucre étaient en fleurs, érigeant ainsi leurs plumeaux argentés dans toute la vallée pour nous offrir un spectacle magnifique.

Puis nous longerons un cours d'eau qui doit être l'un des très rares du Cap Vert à couler toute l'année. Santo Antao est la seule à ne pas avoir de problème d'eau à tel point qu'il avait été question à une certaine époque d'alimenter sa voisine Sao Vicente par bateaux citernes avant que la décision de la construction d'une usine de désalinisation d'eau de mer ne soit prise. Nous y rencontrerons des enfants s'y baignant et des femmes lavant leur linge.

Au détour du chemin, nous rencontrerons un capverdien endormi sous un arbre, à côté d'un gros sac de toile de jute. Notre passage le réveille et il commence à nous proposer de lui acheter des oranges, contenu précieux dudit sac. Jean-Claude mena de main de maître la négociation commerciale et nous pûmes déguster de délicieuses oranges bien rafraîchissantes. Un peu plus loin, ce sont les pieds des valeureux randonneurs qui eurent besoin que l'on s'occupe un peu d'eux : dans l'aval du cours d'eau rencontré plus haut, nous prîmes un bain de pieds salvateur.

C'est au bout de cinq bonnes heures de marche que nous atteignîmes le village de Paul situé au bord de l'océan. Heureux de pouvoir rejoindre la pension tenue par des italiens que l'on nous avait recommandée à l'Alliance Française, puis déçus d'apprendre qu'il ne restait plus qu'une chambre libre! Pas question de faire des quarts de nuit avec Monique et Jean-Claude, nous nous sommes rabattus sur l'hôtel typiquement local avec le confort qui va avec. Puis Jean-Claude et le captain sont partis prendre un bain de mer assez sportif car, sans plage, il fallut partir des rochers de la côte et éviter les forts courants susceptibles de rendre le retour à terre difficile; mais quel bonheur!

Le repas fut pris au seul restaurant ouvert du village après bien entendu avoir goûté au fameux "grogue", un peu hard au goût du captain. Il en existe deux sortes : le grogue nature, et le grogue vieux au miel, un peu plus doux. Loin de valoir le ti-punch ou la caïpirinha.

Le lendemain, après une bonne nuit réparatrice, nous prîmes un aluguer pour la ville de Ribeira Grande où nous parcourûmes quelques rues pour trouver une boulangerie nichée au fin fonds d'un labyrinthe de ruelles. On y rentre directement par le fournil! Puis, après la visite de l'église, nouvel aluguer après d'âpres négociations commerciales pour nous conduire d'abord à Piedracine, réserver nos chambres pour le soir, puis au village de Cha de Igreja, départ de notre randonnée du jour. Cette route se transforma bientôt en piste au fond d'une vallée du bout du monde, dans des paysages incroyables de beauté.

Cette randonnée devait nous faire emprunter un chemin muletier ou chemin de douanier longeant le littoral nord-est de l'île, du village de Cruzinha da Garça jusqu'à la ville de Ponta do Sol, point géographique le plus nord de l'île. Elle nous avait été décrite comme aisée et très belle, si bien que nous avions pris notre temps pour nous rendre à son point de départ. Nous aurions dû lire notre guide avec plus d'attention pour nous rendre compte que la durée escomptée de marche est de six heures, que le tracé est très accidenté avec des dénivelés importants et que le point de départ est le village de Cruzinha da Garça et non celui de Cha de Igreja!

C'est donc la fleur au fusil que nous démarrons à 11h30 le matin cette marche qui restera un souvenir indélébile! Nous musardons dans Cha de Igreja où nous nous faisons photographier avec une famille au complet; nous y découvrirons une école où nous vîmes une façon insolite de recycler les bouteilles de gaz : l'une d'elle avait été transformée en cloche sonnant la récréation!

Au bout d'une heure de marche, nous arrivons à Cruzinha de Garça en bordure de l'océan et commençons le vrai circuit sur un chemin muletier entièrement pavé; la première partie est en effet aisée, le chemin serpente en bordure de côte jusqu'à une belle plage de sable noir (la seule de l'île) où nous décidons de nous arrêter pour nous baigner et déjeuner. Les paysages sont très beau et, en terme de géologie, il aurait été intéressant de se faire accompagner d'un spécialiste tant les curiosités naturelles abondent.

Puis, requinqués, nous reprenons notre chemin pour rencontrer rapidement les premières vraies difficultés avec les premiers dénivelés importants; le chemin serpente alors à flanc de montagne et l'on imagine les difficultés qu'il a fallu surmonter pour le construire avec ses murs de soutènement en pierres sèches. On redescend au niveau de la mer, on remonte à quelque 400 mètres d'altitude, on redescend et ainsi de suite pendant plusieurs heures! Le paysage est somptueux, les vallées traversées sont tapissées de canne à sucre encore fleuries et de maïs sur chaque portion de terrain disponible.

Nous atteignîmes le petit village de Formiguinhas, coincé entre mer et montagne, où, assoiffés, nous nous arrêterons boire un pot dans une échoppe où l'on se demande si on est chez l'habitant ou dans un bar. Puis nous reprenons notre "ballade"; avec les vingt kilomètres de la veille dans les jambes, Maryse, qui n'est pas une grande marcheuse, en bave mais assume! Jean-Claude qui a gardé la forme physique de son ancien métier (nageur de combat), en parfait gentleman, lui porte son sac à dos en plus du sien!

Mais le plus dur restait à venir; alors que nous nous inquiétions de ne pas arriver avant la nuit, le chemin obliquait vers l'intérieur de l'île pour s'enfoncer dans la montagne; puis ce fut une longue montée pour arriver en surplomb d'un magnifique village de montagne perché sur un éperon rocheux, le village de Fontainhas. Indépendamment de l'émerveillement du site, le moral de Maryse en prit un coup car on voyait la sinuosité du chemin descendre jusqu'au village, puis remonter de l'autre côté de la vallée vers un sommet dont on ne devinait pas la fin! A vol d'oiseau, Ponta do Sol ne devait pas être bien loin, mais la route devait être encore longue et surtout difficile avec ses montées raides et interminables.

C'est finalement après plus de sept heures de marche que nous atteignîmes les faubourgs de Ponta do sol, la nuit tombée. Nous eûmes la chance de tomber aussitôt sur un aluguer libre qui nous conduisit à notre hôtel de Piédracine où douche et repas furent d'un bon réconfort.

Après une nuit réparatrice, nous reprîmes un aluguer pour Ribeira Grande pour quelques courses, puis nous nous fîmes conduire au cratère de Cova, au centre de l'île, pour parcourir le début du chemin conduisant au Pico da Cruz à 1585 mètres d'altitude. Après un pique-nique rapide, nous retournâmes sur la route principale pour arrêter un aluguer et redescendre à Porto Novo dont nous parcourrons quelques rues pour y trouver une fromagerie que nous pourrons visiter; son installation est récente, les équipements modernes mais, malheureusement, la sècheresse de ces dernières années a fait baisser substantiellement les quantités de lait de chèvre récoltées et les paysans préfèrent encore fabriquer eux-mêmes leur fromage, tirant ainsi plus de revenu que de vendre le lait à la fabrique. Seul inconvénient, l'hygiène de la fabrication n'est pas la même!

Puis vint l'heure de reprendre le ferry pour Mindelo; c'est avec une grande nostalgie que nous quittâmes cette merveilleuse île de Santo Antao, la tête pleine de formidables images et les jambes bien fourbues.

Sao Vicente 2

Les jours suivants, nous reprîmes notre petit train-train quotidien de capverdiens convertis. Nous prîmes un bain sur la plage située au nord de Mindelo, regardant bien autour de nous si un squale, aperçu les jours précédents, ne rôdait pas par là. Puis nous décidâmes de visiter le point culminant de l'île, le Monte Verde, à 774 mètres d'altitude. Nous nous y fîmes conduire en aluguer, empruntant une route, toujours pavée, qui montait au sommet en serpentant autour du mont.

Au sommet se trouve un centre de télécommunication gardé par des militaires; à peine étions-nous arrivés, en compagnie d'un jeune couple capverdien monté à moto, qu'un beau militaire (c'est Maryse qui le dit) nous fait signe d'approcher et nous baisse la chaîne d'entrée du site pour nous permettre de gagner le plus beau point de vue de l'île. Malheureusement, il y avait ce jour là des nuages qui masquaient la vue; par intermittence toutefois, des trouées nous permettaient d'entrevoir la magnifique baie de Mindelo et, au loin, l'île de Santo Antao.


Après la photo souvenir avec "le beau militaire", nous entamâmes la descente à pied, ce qui nous valut deux heures et demi de marche pour regagner la marina et le bateau. Ceci nous permit de passer dans les faubourgs nord de la ville, moins affriolants que le centre ville mais sans doute plus représentatif de la réalité de la pauvreté capverdienne. De nombreux immeubles ou maisons ne sont pas terminés, faits de parpaings bruts fabriqués sur place. Mais, même dans ces quartiers, on constate le soin à s'habiller des capverdiens; de manière évidente, ils prennent beaucoup de soin à se vêtir quelque soit leur environnement.

Nous y croiserons également de nombreux écoliers, comme nous en avions d'ailleurs croisés à Santo Antao, tous en uniforme. Le manque d'école conduit en fait à avoir deux sessions de formation, une le matin et une autre l'après-midi. Souvent, nous avions droit aux demandes suivantes, la plupart du temps en anglais, quelquefois en français :

-Bonjour, tu peux me donner un stylo?
-Désolé, mais nous n'en avons pas avec nous,
-Alors des bonbons?
-Nous n'en avons pas non plus!
-Alors, de la monnaie?

C'est sûr, la prochaine fois il faudra s'équiper!

Puis vint le moment de s'inquiéter de ce que devenait notre alternateur d'arbre dont nous n'avions aucune nouvelle. Touga nous rassure en nous disant qu'il va contacter son spécialiste; puis nous inquiète en nous disant que ce dernier ne peut rien faire, car c'est un alternateur dimensionné pour du 24 volts et non 12 volts et qu'il n'a pas de régulateur 24 V, et qu'en plus, le bobinage est mort et qu'il faudrait le refaire, ce qu'il peut faire mais ne fait pas puisqu'il n'a pas de régulateur 24 V! (vous suivez?). Nous avions l'intention de quitter le Cap Vert une semaine plus tard et la situation commençait à devenir chaude. Elle le devint vraiment quand Touga nous rendit notre alternateur le lendemain!

Allo, Amel? Le chantier n'avait pas de régulateur en stock. Puis, deux heures plus tard, le SAV me rappelle pour me dire qu'il en a trouvé un! Je le commande et le fait expédier chez Jean-Marie en France qui doit nous rejoindre 48h plus tard pour effectuer la traversée avec nous. Il a déjà avec lui une hélice de propulseur d'étrave et des pièces de rechange pour Olivier, notre ex équipier, qui a rejoint le Cap Vert avec un bateau du rallye des Îles du Soleil.

28 novembre, Jean-Marie débarque le soir sur Olympe après un bon voyage et pendant un apéro dînatoire préparé par Maryse pour les voisins de pontons encore présents; en effet, les bateaux Xara of Hamble, Renata et Marie-Alice étaient déjà partis pour leur destination respective au son des cornes de brumes et des "au revoir" de ceux qui restent. Nous étions heureux de le retrouver, et lui ravi de venir partager l'aventure de la traversée avec nous. Et puis le SAV du chantier Amel et Chronopost avaient bien fait leur travail, Jean-Marie avait reçu le régulateur la veille de son départ!

Le lendemain, nous redonnons donc notre alternateur avec le nouveau régulateur au "spécialiste" prévenu par Touga qu'il pouvait maintenant le réparer avec une date objectif du 1er décembre car nous comptions partir le 3.

En attendant, nous faisons découvrir la ville à Jean-Marie qui y a retrouvé l'ambiance brésilienne qu'il connaît bien pour y avoir vécu sept ans. Nous referons avec lui la visite et la descente à pied du Monte Verde, passerons une soirée dans un restaurant du port à écouter un jeune groupe de musique, puis une autre au "clube nautico" toujours en musique.

Le 1er décembre, évidemment, pas de nouvelle de notre alternateur; "demain, sûr" me promet-on. Le 2 décembre, pas de nouvelle. Le captain s'énerve un peu mais tente de ne pas trop le montrer. "Demain sûr, à 8h du matin avant votre départ". Le captain se défoule en partant faire les formalités de sortie pour le lendemain, en passant directement par le portillon!

3 décembre, jour du départ; le bateau et l'équipage sont prêts, à part ce foutu alternateur qui n'est toujours pas là; 8h, rien, 10h, toujours rien, 13 heures, enfin, le spécialiste arrive avec notre alternateur sous le bras, mais toujours sans outils! Et s'il ne marchait pas? Le captain refusait cette éventualité et s'affairait avec l'électricien pour comprendre ce qu'il demandait dans un portugais approximatif que même Jean-Marie avait du mal à comprendre! Et puis, miracle, une fois remonté, il fournissait du vrai et bon courant 24 volts. Finalement, le captain oubliait ces péripéties de délai en se disant qu'en France cela aurait pu être pire et qu'on lui aurait sans doute affirmé que l'alternateur était mort et qu'il fallait en changer! L'avantage de ces contrées, c'est aussi que du fait du manque de tout, les gens développent des trésors d'ingéniosité pour réparer l'irréparable!

14h, nous pouvions larguer les amarres le cœur gros de quitter ces îles et leurs habitants si attachants. Oui, nous aimerions y revenir; un jour peut-être?

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