OLYMPE AUTOUR DU MONDE

PANAMA

C'est le 5 avril que nous quittâmes à regret la ville de Carthagène sous un soleil toujours aussi éclatant, pour nous rapprocher du canal de Panama en effectuant une escale aux îles San Blas; nous levâmes l'ancre à 14h15, ayant calculé que compte tenu du vent faible annoncé par la météo, nous arriverions le surlendemain matin aux Hollandes Cays, un des multiples archipels des îles San Blas, après une petite traversée de 200 milles nautiques.

Les îles San-Blas

Ces dernières s'étendent tout le long de la côte Nord panaméenne depuis la Colombie jusqu'à la pointe San Blas située à quelques 80 milles à l'Est du canal de Panama. Elles sont soumises au régime des alizés d'Est et sont protégées des assauts de la mer des Caraïbes par des barrières de corail, ce qui en rend parfois l'accès difficile et nécessite toujours d'arriver de jour avec une bonne lumière.

Elles dépendent du Panama et sont le territoire exclusif des indiens Kunas qui habitent 34 îlots sur les quelques 340 constituant cet archipel. Ces tribus ont parfaitement su protéger et pérenniser leurs rites et leur culture, ce qui en fait sur ce plan un endroit presque unique au monde, de même que sur la beauté des îles et la pureté de leurs eaux.

En fait, les Kunas sont originaires du continent, des montagnes Darien, mais ils émigrèrent petit à petit sur ces îles pour échapper aux fréquentes inondations dont ils étaient victimes. En outre, ces îles leur offraient un certain nombre d'avantages par rapport à la forêt équatoriale : absence d'insectes et d'animaux sauvages, pas de serpents et une meilleure protection contre les autres tribus.

Compte tenu de la typologie de ces îles dont l'émergence ne dépasse pas un à deux mètres le niveau de l'océan, on peut toutefois être inquiet quant à leur devenir face à la menace de la montée des eaux!

Vivant en autarcie, les Kunas vivent de la pêche artisanale qu'ils effectuent à partir de leurs pirogues taillées dans la masse, et de la culture des cocotiers qui recouvrent la totalité des îles en poussant ici comme le chiendent chez nous; les noix de coco constituent d'ailleurs leur monnaie d'échange dans le commerce inter îles. Les femmes sont passées maîtres dans l'art de la confection des molas, sortes de patchworks constitués de plusieurs couches de tissus de différentes couleurs et finement brodés à la main; ils représentent la plupart du temps des figures géométriques complexes, mais aussi souvent des animaux stylisés : poissons, perroquets, tortues, etc. C'est une source complémentaire de revenus auprès des bateaux de passage et sur le continent où des femmes Kunas s'aventurent pour y vendre leur production dans les grandes villes.

Ce peuple est de petite taille, dépassant à peine la taille moyenne des pigmés. Leur hospitalité est légendaire, même si leur société est très protectrice vis-à-vis des étrangers à leur tribu; c'est ainsi, par exemple, que le mariage ne peut s'envisager qu'entre Kunas. La notion de propriété n'existe pas non plus; nous ne verrons jamais la moindre barrière clôturer un terrain entourant leurs cases faites de bois et de feuilles de cocotiers.

Sans eaux ni électricité, la vie est rude pour ce peuple, même s'il semble vivre dans un paradis terrestre! Seule concession à la modernité, les jeunes ont succombé à l'attrait du téléphone portable dans les quelques îles suffisamment proches du continent; mais, sans électricité, ils comptent sur les groupes électrogènes des bateaux de passage pour les recharger!

Partis le dimanche en début d'après-midi, le vent était au rendez-vous, contrairement à ce qui était annoncé par la météo; ceci risquait de nous poser problème, car une arrivée de nuit dans les îles San Blas au milieu des récifs de corail était exclue. Jusque dans la nuit, nous bénéficiâmes d'un vent de Nord Nord-est de force 6 nous permettant d'avancer entre 8 et 9 nœuds. Le vent faiblit pendant la nuit pour se stabiliser ensuite jusqu'à l'arrivée à force 4. Nous croiserons six cargos et deux voiliers, ces derniers remontant au vent en direction de la Colombie.

Au cours de la matinée du lundi, le chargeur de batterie qui fonctionnait sur le groupe se mit en alarme température; nous arrêterons le groupe jusqu'au lendemain, les batteries étant suffisamment chargées.

Ce rythme nous permit d'arriver dans le mouillage des Hollandes Cays Est le lundi soir juste avant la nuit, au lieu du mardi midi comme nous l'avions prévu initialement. Nous mouillâmes entre l'îlot Tiadup et l'île Banedup où étaient déjà mouillés cinq bateaux dont deux Super Maramu! Le spectacle de l'approche de cet archipel est étonnant, les îles, très basses, étant éparpillées sur l'eau et entièrement couvertes de cocotiers. Quant à l'état de la mer, elle était devenue lac dès les récifs de corail franchis. Au loin, on pouvait apercevoir la côte du Panama et la Cordillère des Andes qui la dominait.

Le lendemain matin au réveil, nous vîmes arriver un indien Kuna avec sa pirogue; il voulait nous souhaiter la bienvenue en nous offrant des fruits et s'offusqua presque lorsque Maryse voulut les lui payer! Voilà qui changeait de certains accueils que nous avions connus…Il nous invita à venir l'après-midi chez lui, sur l'îlot Tiadup situé juste derrière le bateau, pour nous présenter sa famille et, bien entendu, nous montrer les molas que sa femme confectionnait! Mais la manière était élégante.

Par contre, une moins bonne surprise nous attendait quand nous voulûmes recharger les batteries avec le chargeur alimenté par le groupe : tout disjoncta et le captain constata avec consternation que son beau chargeur tout neuf monté en Guadeloupe avait littéralement fondu! Une chance dans notre malheur qu'il n'ait pas mis le feu dans le compartiment moteur. C'est donc à partir de l'alternateur 24 volts du groupe que nous rechargerons désormais les batteries.

Puis nous mettrons l'annexe à l'eau pour aller explorer les lieux; nous irons longer l'îlot Ogoppiriadup, puis Kalugirdup que nous aborderons pour nous baigner sur sa belle plage de sable corallien, avant de nous rapprocher de la barrière de corail Nord en longeant une sorte de mangrove; les noms des îlots sont difficilement mémorisables, mais le spectacle est magnifique; Maryse était sous le charme, et le captain se mettait à rêver qu'elle demanderait à prolonger le voyage pour découvrir d'autres merveilles de ce genre!

Après le déjeuner pris à bord, nous respectâmes notre promesse faite le matin à Victor, tel était son prénom, et nous rendîmes sur son îlot où il nous accueillit avec un grand sourire. L'endroit était étonnant de beauté et de propreté; Le sol de toute la cocoteraie entourant ses cases était propre et net; pas une "mauvaise" herbe, les traces de ratissages fréquents étaient visibles; l'environnement ferait rêver n'importe quel citadin si la dure réalité des conditions de vie ne sautait vite aux yeux.

Deux cases, l'une servant de cuisine où le feu de bois fait office de réchaud, l'autre de chambre à coucher collective, faites de planches de bois de récupération mal jointoyées et de bambou, le toit étant réalisé avec les feuilles de cocotiers entrelacées; l'étanchéité ne devait pas être absolue! Bien entendu, il n'y avait ni eau douce ni électricité.
Il nous présenta son épouse, Elisa, et deux de ses enfants jumeaux âgés de treize ans, Eliot et Maria. Nous leur remîmes les cadeaux que nous leur avions apportés, un tee shirt et un paquet de gâteaux. Ils étaient très curieux de savoir d'où nous venions et où nous allions. Victor était un personnage dégageant une grande sérénité et nous raconta sa vie au quotidien que nous rapportons dans le portrait qui lui est dédié.

C'est Maryse qui demanda à voir les molas que faisait Elisa, sinon nous nous demandons encore s'ils nous les auraient montrés. Souhaitant en acheter un en souvenir de notre passage, ils nous expliquèrent que sur l'îlot où ils habitaient, deux familles fabriquaient des molas et, selon leur coutume, ils devaient appeler l'autre famille pour que nous choisissions celui que nous préférions dans l'ensemble des deux collections. Mais ils poursuivirent aussitôt en nous disant que si nous étions discrets et que nous cachions le mola que nous leur achèterions, ils pouvaient nous le vendre directement! Quelque soient les us et coutumes, la nature humaine est ainsi faite qu'elle détourne rapidement les règles à son avantage, même chez les Kunas! Ce qui n'empêcha pas Elisa d'offrir à Maryse un bracelet de sa confection.

Leur apprenant que nous repartions dès le lendemain, Victor fut désolé car il aurait aimé nous inviter à déjeuner un jour; décidément, la réputation d'hospitalité de ces indiens n'est pas usurpée; ils n'ont rien mais sont prêts à donner beaucoup…

En rentrant au bateau, le dinghy d'un des Super Maramu s'approcha pour nous demander en anglais avec un accent allemand si nous accepterions de nous joindre à eux et aux équipages de deux autres bateaux sur la petite plage de Tiadup pour une soirée musicale improvisée; bien entendu, nous acceptâmes l'invitation et nous retrouvâmes bientôt avec deux couples allemands et un couple autrichien à jouer du tam-tam à la nuit tombante sur un îlot paradisiaque du bout du monde! La scène était surréaliste mais tellement sympathique!

Manifestement, ces couples se connaissaient et connaissaient parfaitement la région qu'ils avaient déjà parcourue de long en large lors de précédents tours du monde. Tous parlaient un bon français et nous échangeâmes l'expérience de nos déboires respectifs avec nos bateaux; c'est ainsi que le propriétaire d'un des deux Super Maramu (le n° 72 de la série, le nôtre portant le n° 82!) nous conta son déboire récent avec son chargeur de batterie tout neuf qui avait fondu alors qu'il était alimenté par le groupe! Incroyable…Il était cependant d'une autre marque que le nôtre. Mais nous ne pleurâmes pas très longtemps sur notre sort pour nous remettre au rythme des percussions.

Compte tenu de notre départ le lendemain matin, nous les quittâmes vers 23h et nous ne sûmes pas comment ils finirent la soirée, car il y avait encore beaucoup de munitions à boire!

Le lendemain matin, nous levâmes l'ancre pour nous rendre sur l'île de Porvenir, à 26 milles plus à l'Ouest, l'île la plus occidentale des San Blas et qui est la seule où l'on puisse faire les formalités d'entrée officielle au Panama. Elle possède même une piste d'aérodrome permettant une liaison avec Colon au moyen de petits avions. Nous savions depuis Carthagène qu'il fallait demander Alexis pour effectuer sereinement ces formalités et, depuis la veille par nos amis allemands, que nous ne le trouverions que ce jour-ci car il devait partir à Colon pour une opération des yeux.

Malheureusement, leur information n'était pas tout à fait exacte, car lorsque nous sommes arrivés, on nous apprit qu'il était déjà absent depuis la veille et qu'il était donc impossible d'effectuer nos formalités d'entrée. Qu'à cela ne tienne, nous les ferions plus tard à notre arrivée à Colon, ce qui ne nous empêchera pas de retourner sur l'archipel de Chichime au Nord-ouest des Hollandes Cays puis de faire deux escales sur la côte du Panama avant d'atteindre Colon.

A 14h15, après un déjeuner rapide, nous appareillons donc pour Chichime, un autre mouillage enchanteur des San Blas situé à proximité; cette expérience fut intéressante pour se rendre compte de la limite de ce merveilleux instrument qu'est le GPS, car autant à l'arrivée sur les Hollandes Cays la précision avait été bonne, autant l'arrivée sur Chichime dut se faire au visuel, la trace du lecteur de carte nous ayant fait passer au milieu de l'île! Ce n'est d'ailleurs pas le GPS qui est imprécis, mais les relevés des cartes marines dont certains sont très anciens. Raison de plus pour toujours arriver de jour dans ce genre d'endroit.

Nous mouillâmes entre les îlots Uchutupu Dummat et Uchutupu Pipigua, après avoir contourné un motu (tout petit îlot) et ses trois cocotiers qui allait faire l'admiration de Maryse qui voudra y débarquer plus tard pour y planter son drapeau!

Le paysage était tout aussi enchanteur que le précédent, mais la concentration de bateaux plus importante. Rançon du succès, les meilleurs mouillages vantés par le meilleur guide nautique de la région attirent de plus en plus de croisiéristes. Puissent ces îles magnifiques et les Kunas ne pas y perdre leur âme, tant il est vrai que les barques et les pirogues y étaient plus nombreuses et les Kunas plus insistants…

Maryse n'y tenant déjà plus; il fallut mettre l'annexe à l'eau et se rendre illico sur son île! Cela nous valut quelques difficultés pour passer le plateau corallien l'entourant, mais une fois débarqués, on se disait qu'on était chez nous! Mais l'on se rend rapidement compte que la vie de Robinson doit être un tant soit peu monotone! Qu'importe, nous prendrons les photos d'usage et Maryse ne manquera pas de ramasser un peu de sable corallien de son île qui viendra grossir le stock déjà conséquent du bord.

Le lendemain, nous débarquerons en annexe sur l'île Uchutupu Dummat dont nous ferons le tour à pied; nous y rencontrerons Prado, une indienne Kuna qui fabrique de très beaux molas, puis tomberons en émerveillement en débouchant sur la côte Sud-ouest de l'île : l'eau était d'un calme absolu, protégée qu'elle était d'abord par les barrières de corail au nord de l'archipel, puis par l'île elle-même. La plage était l'archétype parfait de la carte postale avec son sable blanc et ses cocotiers penchés du côté où ils vont tomber; en outre, des plateaux coralliens longeaient une partie de la plage, ce qui devait être un lieu de snorkeling idéal. Nous nous promîmes d'y revenir l'après-midi en annexe avec notre équipement de plongée.

Au retour vers l'endroit où nous avions laissé l'annexe, nous pûmes admirer à travers les cocotiers Olympe, fièrement mouillé tout près du rivage de l'île; lui aussi semblait apprécier cette escale, comme s'il la retrouvait après son premier voyage à Tahiti avec un de ses propriétaires précédents.

Après déjeuner, nous revînmes donc avec notre matériel non sans avoir acheté auparavant à Prado quelques molas supplémentaires pour faire quelques cadeaux. Mais le captain se rendait compte que son moussaillon préféré ne semblait pas très enthousiaste à l'idée de rechausser ses palmes; il est vrai que cela faisait déjà un certain temps que nous n'avions pas pratiqué cet exercice, depuis notre passage à Saint-Barth. Arrivés au pied du mur, ou plutôt au bord de l'eau, les mauvaises excuses commencèrent à fuser : oui, mais ici, il n'y a pas assez d'eau au dessus du corail, oui mais là, il y a trop d'eau, je n'aurai pas pied, d'accord, mais là il y a des algues et je n'aime pas çà…

Jean-Claude, au secours, où es-tu? Trop loin maintenant, espèce de lâcheur! Bref, il fallut un certain temps pour que Maryse reprenne confiance et se lance enfin. Le spectacle n'était malheureusement pas à la hauteur des espérances, même si quantités de poissons tropicaux et d'énormes étoiles de mer venaient agrémenter la plongée. En passant au dessus de certains récifs, la température de l'eau grimpait de plusieurs degrés pour dépasser certainement largement les 30°!

Puis, avant de rentrer au bateau pour notre dernière soirée dans ces îles paradisiaques, il fallut retourner une dernière fois sur…son île!

Le lendemain matin à 8 heures, nous quittâmes notre mouillage, ces îles enchanteresses et leurs habitants si hospitaliers; il fallait nous rapprocher de Panama, Martine et Michel devant nous y rejoindre le 15 avril. Un léger vent de force 3 à 4 nous poussa gentiment 45 milles plus loin, le long de la côte du Panama; nous choisîmes de mouiller entre celle-ci et l'île Linton.

Isla Grande et Isla Linton

Ces deux îles sont situées juste à l'Ouest de la Pointe Manzanillo; elles se suivent, étant juste séparées par un bras de la mer des Caraïbes. Etant situées tout près de la côte, elles forment chacune un chenal protégé où le mouillage est possible.

La première à se présenter à notre étrave est Isla Grande que nous laisserons sur tribord; nous longeâmes un village qui nous parut typique et intéressant, mais le mouillage à cet endroit n'inspirait pas le captain; il préféra continuer pour passer derrière Isla Linton où le mouillage dans sa partie Sud-ouest est bien mieux protégé; d'ailleurs, les bateaux y étaient bien plus nombreux.

C'est à 14h30 que nous immobilisâmes Olympe dans 11 mètres d'eau; l'envie de nous rendre dans le village que nous avions longé sur Isla Grande nous incita à mettre l'annexe à l'eau pour refaire les deux derniers milles en sens inverse. En traversant le canal entre les deux îles, la houle nous secoua un peu et c'est dans ces circonstances que l'on ne regrette pas d'avoir une bonne annexe et un moteur assez puissant.

Nous accostâmes à un petit ponton réservé aux embarcations légères, puis partîmes dans le village, tout en longueur le long de la côte sud face au continent. Première constatation, la population est presque exclusivement d'origine africaine; cet endroit est un lieu de promenade et de villégiature pour les habitants de Panama City qui y viennent souvent en touriste le week-end ou y possèdent une résidence secondaire. La rue principale longeant le front de mer est saturée de restaurants de toutes sortes, mais souvent très "kitch"; on y vit le "Pupi's" bar, à la décoration Rasta et diffusant en continu de la musique Reggae : La robe de Maryse trouvée au Cap Vert n'aurait pas dépareillé dans le décor!

Les maisons comme les restaurants sont peints de couleurs vives; l'ensemble pourrait être coquet si la propreté était à la hauteur…Impossible malheureusement de trouver une banque ou un distributeur automatique : les plus proches se situent à Colon, la ville à la sinistre réputation située à l'entrée du canal côté Atlantique.

Le village étant petit, nous en fîmes vite le tour et reprîmes l'annexe pour rentrer au bateau; c'est alors que nous fûmes rattrapés par une vedette militaire qui nous aborda pour nous demander d'où nous venions et nous dire que le port des gilets de sauvetage était obligatoire. Bien entendu, nous répondîmes que nous n'en savions rien : "maintenant vous le savez et pour toujours" nous répondit le brave représentant de l'ordre, qui nous laissa filer.

Nous retournâmes ainsi au bateau près de Isla Linton; cette île, assez grande, est privée. Elle n'est cependant pas habitée si ce n'est par une colonie de singes qui ont investi une maison en ruine située près du débarcadère en bois et qui viennent auprès des visiteurs téméraires pour obtenir à manger. Même s'ils paraissent sympathiques, ils peuvent vite devenir agressifs et mordre s'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent. Nous ne les observerons que de loin aux jumelles depuis le bateau.

A quelques distances plus à l'ouest de l'île Linton se situe sur la côte panaméenne une marina assez rustique installée à l'abri d'une barrière de corail au fond d'une mangrove. Elle est tenue par un couple de Français, Jean-Paul et Sylvie Orlando. Nous irons leur rendre visite le lendemain matin en annexe en prenant un raccourci à travers la mangrove; le spectacle de ces mangroves est toujours aussi surprenant, en particulier dans les passages étroits entre les racines aériennes des palétuviers. Le silence y est absolu à l'exception de quelques cris d'oiseaux.

Nous trouverons Sylvie et Jean-Paul au bar de la marina en compagnie de deux autres français artisans venus s'installer ici depuis plusieurs années; "au moins ici, à la fin du mois, ce que l'on a gagné reste dans notre poche et on n'est pas submergé par la paperasserie" répondront-ils à notre question.

L'endroit, situé aux abords de la forêt tropicale, est enchanteur et semble éloigné de tout, mais ne se trouve qu'à une heure de voiture de Colon et deux et demi de Panama City. De nombreux bateaux (beaucoup de français et d'américains) sont mouillés entre deux bouées et attendent le retour de leurs propriétaires rentrés au pays quelques temps.

Nous en profiterons pour poser quelques questions sur le passage du canal, et ils nous conseillerons de prendre les services d'un certain "Tito" qui joue le rôle d'agent (peut-être pas très officiellement encore) pour prendre en charge toute la logistique des formalités d'entrée et de sortie, ainsi que celles non moins complexes, du passage du canal. Nous verrons plus loin que nous n'aurons qu'à nous féliciter de ce conseil.

Puis, de retour au bateau, nous levâmes l'ancre à 10h30 pour nous rendre 11 milles plus loin dans la baie de Portobello.

Portobello

La baie fut découverte en novembre 1502 par C. Colomb lors de son quatrième et dernier voyage aux Amériques. Mais ce n'est qu'en 1586 que ce site protégé fut choisi par Juan de Tejada et Juan Bautista Antonelli au nom de la couronne royale d'Espagne pour en faire un des centres de transit les plus importants des marchandises et richesses en provenance d'Amérique du Sud et d'Amérique Centrale. La ville elle-même de San Felipe Portobello fut fondée en 1597 par Francisco Valverde et vit transiter des tonnes d'or et d'argent à destination de la capitale commerciale de l'Empire Espagnol, Séville.

Nous mouillâmes dans la partie nord de la baie, la plus abritée, puis nous rendrons aussitôt en annexe dans la ville. L'aspect de cette dernière est loin d'être aussi reluisant que ne le laissent supposer les photos de notre guide nautique! C'est sale, bruyant, pollué, petit et mal entretenu.

Nous y verrons la maison des Douanes, vaste bâtiment rectangulaire de style Renaissance, construit en 1630; il fut détruit et reconstruit plusieurs fois, suite à des invasions de pirates ou des tremblements de terre. Il est reconverti aujourd'hui en musée d'histoire de la ville.

Nous y verrons également l'église San Felipe qui abrite une statue en bois du Christ Noir de Portobello qui est célébré chaque 21 octobre; les pèlerins viennent souvent de très loin, même de pays voisins pour l'occasion.

Nous ferons également la découverte des incroyables autobus panaméens, décorés de chromes et de peintures psychédéliques, et crachant une fumée noire par leurs énormes pots d'échappement verticaux situés à l'arrière, dans un bruit d'enfer.

Enfin, de l'autre côté de la baie, près de notre mouillage, nous visiterons les ruines du San Fernando Fort Battery, construit sur deux niveaux en 1760; 14 canons étaient installés au niveau inférieur, six au niveau supérieur.

D'une manière générale, cette ville mériterait une restauration digne de son histoire; après la visite de Carthagène en Colombie, le contraste est d'autant plus frappant sur la différence de traitement du patrimoine historique entre les deux pays. Bref, vous l'aurez compris, nous avons été déçus par cette escale.

Aussi est-ce sans regret que nous lèverons l'ancre le lendemain matin pour nous rendre à Colon et son port de Cristobal à l'entrée du canal de Panama. Nous allions effectuer ce faisant nos derniers milles dans l'océan Atlantique!

Colon

19 milles seront nécessaires pour atteindre l'entrée de la baie de Colon en passant la porte des brises lames signalée par les feux vert et rouge situés de part et d'autre sur des structures métalliques de trente mètres de haut, puis trois milles encore pour atteindre la zone de mouillage et d'attente appelée "Flat".

La première vue en approchant de cette entrée est constituée de tous les bateaux de commerce au mouillage à l'extérieur des brises lames, en attente de leur autorisation de passage du canal ou simplement de l'accès aux quais de déchargement du port de Cristobal. Nous en aurons compté une trentaine, certains monstrueux comme peuvent l'être aujourd'hui les porte conteneurs. Puis, à l'intérieur du bassin après les brises lames, d'autres monstres sont ancrés, attendant les mêmes autorisations.

A l'intérieur, le chenal n'est pas aussi large qu'on pourrait l'imaginer, mais il y a largement assez de fond pour naviguer en dehors du passage des gros navires; cependant, Olympe fera comme les gros et naviguera fièrement dans le chenal!

Arrivant sur la zone de mouillage, surprise : il n'y a presque personne! Seuls deux voiliers sont ancrés, un canadiens et un américain. Ce serait-on trompé? En fait, les informations concernant la fermeture et la démolition du Club Nautique de Panama situé à proximité ont bien circulé dans le monde nautique international, et d'aucun en ont sans doute déduit la suppression concomitante de la zone Flat. C'est sans doute la raison pour laquelle nous avons aperçu autant de mâts de voilier dans la Schelter Marina située immédiatement après l'entrée des brises lames à l'extrême droite; cette marina offre sans doute tout le confort et la sécurité qu'on peut en attendre mais, se situant à l'opposé de Colon dans la baie, elle est éloignée de tout et surtout de tous les centres administratifs nécessaires aux formalités d'entrée et au passage du canal.

Pour nous rassurer, nous composons le numéro de téléphone de Tito que nous avaient donné Sylvie et Jean-Paul Orlando; malgré que se soit un dimanche, il nous répondit aussitôt et nous promit de passer au bateau ce qui fut fait deux heures plus tard. Il nous expliqua l'étendue de ses services et nous garantit un passage du canal dans trois jours. Voilà qui nous soulageait, car nous avions entendu des échos parlant de délais d'attente de trois à quatre semaines!

Mais Martine et Michel arrivant à Panama le mercredi suivant, nous dûmes calmer ses ardeurs et lui dire que nous ne souhaitions passer que le vendredi suivant.

C'est ainsi que le lendemain matin, le lundi, il vint nous chercher avec sa barque puis nous emmena en voiture avec l'équipage du bateau canadien faire les formalités d'immigration, de douanes et la demande de mesurage du bateau auprès des autorités du canal; pour sortir de l'espèce de no man's land où nous débarquions, il fallait passer par des endroits plutôt glauques, et en particulier longer une décharge publique immense qui attirait tous les charognards de la région; et là nous nous félicitâmes d'avoir fait appel aux services de Tito, car toutes les administrations sont disséminées dans la zone portuaire (immense) et dans la ville, l'une des plus dangereuse du monde.

Mardi matin, le mesureur du canal était à bord pour contrôler les dimensions du bateau et remplir les liasses de papiers nécessaires à l'administration du canal pour autoriser et planifier le passage, ainsi qu'à la banque pour le paiement du transit et de la caution. L'après-midi, le paiement était effectué au guichet de la City Bank et les quatre aussières de 40 mètres obligatoires étaient à bord.

Entre-temps, nous avions la possibilité d'aller en ville en demandant à l'un des hommes de Tito de venir nous chercher en bateau et de nous emmener avec sa voiture où nous désirions, moyennant une somme modique; c'est ainsi que nous irons par deux fois dans un cybercafé, à la poste centrale expédier du courrier pour la France, puis faire quelques approvisionnements dans le quartier Quatro Alto, un nouveau centre commercial en dehors de la ville; nous demandâmes également à Samuel, notre chauffeur attitré, de nous faire faire un tour de la ville dans laquelle nous n'aurions jamais osé nous promener seuls.

C'est ainsi qu'il nous amènera sur une des places principales de Colon où il vaut mieux se promener le jour car, dès la tombée de la nuit, de jeunes voyous dont l'âge ne dépasse pas 13 ans vous agressent avec violence. La plupart des rues de Colon sont très dangereuses et la vue des quartiers reflète misère et pauvreté.

En revenant sur le bateau nous rencontrerons une famille française qui venait d'arriver et qui nous invitera à prendre un apéritif sur leur bateau afin que l'on puisse leur donner quelques renseignements sur Colon.

Mercredi c'est avec impatience que nous attendions nos amis lyonnais Martine et Michel; ils arrivèrent en taxi de Panama City où se situe l'aéroport international, et nous les retrouvâmes près d'un centre commercial vers 17h30.

Le Jeudi sera réservé à la préparation du bateau pour le passage. Mise en place des aussières et livraison de 10 pneus qui seront mis de chaque côté du bateau afin de protéger la coque lors du passage des écluses. Tito viendra nous voir en fin d'après midi pour les dernières formalités et c'est le lendemain vendredi qu'il nous rapportera nos passeports et notre clearance de sortie. Il nous présentera Mauricio qui sera notre quatrième hand-liner pour aider au passage du canal et nous dira un au revoir chaleureux.

Passage du canal de Panama

En début d'après-midi, nous eûmes confirmation des autorités du canal par VHF que notre pilote serait à bord à 18h ce vendredi; ainsi, nous avions maintenant la certitude que nous allions passer comme nous l'avait promis Tito; un grand merci pour son efficacité! A 17h45, le bateau du pilote nous accosta et ce dernier monta à bord. Notre seul regret était de passer les premières écluses de nuit.

L'effervescence régnait sur Olympe : Mauricio revoyait la mise en place des aussières et des pneus, le Captain discutait avec le pilote des différents points de passage, quant à l'équipage, il préparait appareils photos et caméra afin de pas laisser passer un seul moment important de ces instants sûrement inoubliables.

Puis, à 18h15, nous levâmes l'ancre pour nous diriger vers les trois premières écluses de Gatun, situées à quelques deux ou trois milles. Les lueurs de ces premières installations se voyaient déjà au loin; deux autres voiliers avaient quitté la zone Flat avec nous, un catamaran et un magnifique yacht à voile battant pavillon australien; nous allions sans doute passer les écluses avec eux.

En effet, arrivés à proximité de la première écluse, le pilote nous indiqua que nous allions passer les trois bateaux amarrés ensemble; le plus gros, l'australien, au centre, nous sur son tribord et le catamaran sur son bâbord. C'est l'australien qui sera moteur et, compte tenu de sa longueur, c'est également lui qui gérera les quatre amarres : nous n'avions qu'à nous laisser tirer en laissant la barre au point neutre et en profitant du spectacle!

Les trois écluses se suivent; chaque sas a une longueur de 304,8 mètres et une largeur de 33,53 mètres, mais la longueur totale de ces trois écluses avec les murs d'approche avoisine les deux kilomètres! Elles nous font monter du niveau de la mer jusqu'au lac artificiel de Gatun situé 26 mètres plus haut.

Mais ces installations sont doublées, puisque qu'une deuxième ligne d'écluses parallèle à la première permet aux navires venant du Pacifique de croiser ceux qui s'y dirigent. Dans le cas présent, les deux lignes fonctionnaient dans le même sens; un cargo nous avait précédés dans notre sas et un autre gros navire marchand avait emprunté l'autre ligne d'écluses. Ces gros bateaux sont tirés et guidés par quatre locotracteurs situés de part et d'autre du sas; pour les plus gros navires, il ne reste souvent qu'une vingtaine de centimètres de chaque côté!

Ce qui nous a le plus surpris, c'est la vitesse de remplissage des sas; les 101000 m3 d'eau nécessaires sont introduit en quelques minutes par le dessous du sas, provoquant d'importants remous sans toutefois rendre la manoeuvre difficile.

Une fois ces trois premières écluses passées, nous nous sommes donc retrouvés dans le lac Gatun; le pilote nous guida jusqu'à un point de mouillage à l'écart du chenal où nous nous amarrâmes à une énorme tonne pour la nuit. Puis, après nous avoir déconseillés de nous baigner compte tenu de la présence de crocodiles dans le lac, il quitta le bord pour monter sur le bateau venu le chercher. Seul, Mauricio resta avec nous pour la nuit.

Le lendemain matin, c'est vers 8h qu'Elvir Mac Millan, notre nouveau pilote, rejoignit le bord pour nous accompagner jusqu'au Pacifique; d'origine écossaise et fort bavard et sympathique, il est ingénieur à la compagnie du canal et assume le rôle de pilote pendant ses loisirs par goût et pour arrondir ses fins de mois.

Nous regagnâmes le chenal principal qui serpente ensuite entre les îles du lac Gatun pendant plus de 20 km, suivis de loin par le catamaran et le voilier australien. Nous croisâmes quelques beaux porte-conteneurs, bien entendu dans les passages les plus étroits et dans les virages!

Puis nous atteignîmes la première écluse de descente, la Pedro Miguel Lock, nous faisant descendre de 9 mètres dans le lac de Miraflores. La même configuration fut retenue avec les deux autres voiliers, à couple du plus gros. Le lac de Miraflores est tout petit et nous arrivâmes rapidement devant les deux dernières écluses attenantes, les plus hautes du canal compte tenu du marnage important du Pacifique qui atteint 5 mètres (Il n'est que de 50 cm côté Atlantique). Compte tenu des remous importants associés, le voilier australien voulut passer seul; nous nous mîmes donc à couple avec le catamaran, Olympe étant cette fois moteur et guide. Quelques dizaines de minutes plus tard, Olympe touchait à nouveau les eaux du Pacifique, 17 ans après son premier voyage à Tahiti.


Il ne restait plus qu'à descendre les quelques milles du chenal, à passer, non sans émotion, sous le pont des Amériques et, après avoir débarqué notre pilote sur sa navette, rejoindre le mouillage de Playita de Amador à la sortie du canal. Alors seulement, nous pouvions dire "nous l'avons fait"!

Panama City

Que faire dans un mouillage loin de tout et où rien n'est fait pour faciliter la vie des pauvres navigateurs? Ayant rappelé de Colon la société Pochon qui nous avait vendu et installé notre chargeur de batterie, il nous avait demandé de leur adresser un mail indiquant une adresse de livraison pour nous envoyer un nouveau chargeur en avance de garantie, ce que nous fîmes dès le lundi en leur réexpédiant le chargeur endommagé. Il fallait donc attendre le nouveau.

Heureusement, Panama City, la capitale de Panama, n'est pas Colon; il n'y a pas plus de problème de sécurité qu'ailleurs, c'est une ville moderne avec ses gratte-ciels et ses deux vieux quartiers : Panama Viejo et Casco Antiguo. Nous y ferons les approvisionnements pour les six semaines à venir (les prix y sont très intéressants), et aux Galapagos nous ne reprendrons que du frais. Il faut toutefois noter qu'il est impossible ici de trouver de l'eau minérale; toutes les eaux en bouteille sont des eaux épurées et filtrées, au goût désagréable de terre ou de moisi! On trouve cependant deux marques d'eau minérale française vendues au prix d'un grand cru classé…

En terme de découverte, nous passerons une après-midi dans le vieux quartier de Casco Antiguo, presqu'île située au Sud-ouest de la ville, où se trouve l'ambassade de France, plaza de Francia, devant le monument érigé à la mémoire des 20 000 français (métropolitains, martiniquais et guadeloupéens) morts lors de la construction du canal de Panama des maladies tropicales. Sur cette même place se trouve l'Institut National de la Culture du Panama ainsi que Las Bovedas et ses stalles retraçant l'histoire du canal ainsi que les statues des hommes qui ont compté pour le Panama, dont Ferdinand de Lesseps, l'initiateur et le premier constructeur du canal, après avoir réalisé celui de Suez.

Nous rejoindrons puis remonterons ensuite l'Avenue Centrale, en partie piétonnière, passant devant l'église Saint-François d'Assise, la place Bolivar avec sa statue du Libérateur, le ministère de la justice et le théâtre national.

Puis nous passerons devant la cathédrale dont la façade a été construite avec les pierres de l'ancienne cathédrale de Panama Viejo datant du 17ème siècle, située à l'opposé à l'est de la ville. La partie piétonnière est réservée au shoping, avec des prix défiant toute concurrence; Michel et le captain passèrent leur temps à attendre ces dames qui faisaient des affaires à chaque coin de rue!

Une autre après-midi fut consacrée à la visite de Panama Viejo, ensemble de ruines de la première ville de Panama créée en 1519 par le conquistador espagnol Pedro Arias de Avila et qui fut la première ville coloniale érigée dans le Pacifique. Cette ville eut une existence très courte, puisqu'en 1671, le pirate Henry Morgan et ses hommes la détruisirent complètement en l'incendiant. Elle ne fut jamais reconstruite, mis à part la cathédrale dont les pierres furent récupérées pour reconstruire la cathédrale actuelle dans le quartier Casco Antiguo, les autres ruines ayant été dépouillées au fil des siècles pour servir de matériaux de construction.

Nous visitâmes également le musée retraçant l'histoire éphémère de cette ville et des découvertes archéologiques faites depuis.

On ne pourra pas vous en dire beaucoup plus; nous avons bien essayé de nous promener dans ces quartiers d'affaires sans âme impersonnels et verticaux, mais rien d'intéressant à en dire sinon que ces quartiers ne sont vraiment pas conçus pour les piétons. Bref, au bout d'une semaine nous avions fait le tour de la question et commencions à nous ennuyer sérieusement; l'air du large commençait singulièrement à nous manquer et le nouveau chargeur n'arrivait toujours pas!

Le captain prit alors la décision d'envoyer un mail à la société Pochon leur indiquant notre départ et leur notifiant que nous leur donnerions ultérieurement une adresse d'expédition à Tahiti. Nous passerons sur les difficultés d'approvisionnement en bouteilles de gaz, déplacerons le bateau le 27 avril pour faire les pleins d'eau et de gazole et quitterons Panama le 29 à destination des îles Galapagos situées à environ une semaine de mer. Le sillage d'Olympe allait continuer à nous éloigner de la Bretagne pour atteindre dans quelques moins l'antiméridien et nous faire franchir l'équateur avant l'arrivée aux Galápagos.

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