OLYMPE AUTOUR DU MONDE
   

ÎLES MARQUISES

Après une traversée de rêve depuis les Galapagos, rapide et confortable, il nous fallait choisir pour premier atterrissage une des deux îles où il est possible de faire les formalités d'entrée en Polynésie française : Nuku-Hiva, l'île principale et siège de l'administration de l'archipel des Marquises, ou Hiva-Oa, plus connue grâce à deux personnages célèbres, le peintre Paul Gauguin et le chanteur Jacques Brel qui ont choisi d'y finir leurs jours.

Nous choisîmes cette dernière, car elle est située au vent de l'archipel et permettrait donc de partir visiter d'autres îles par vent portant, à l'exception de Fatu Hiva la plus orientale des îles.

Ayant été un peu échaudés par le décalage entre la réputation des Petites Antilles et la réalité que nous avions constatée, nous nous demandions si nous n'allions pas être déçus à nouveau par une réputation surfaite : les hommes du marketing sont souvent de gros menteurs!! Et bien, nous ne ferons pas durer le suspens plus longtemps, le spectacle a été à la hauteur de notre attente : ces îles sont réellement magnifiques!

Mais avant de vous conter nos pérégrinations, un rapide rappel géographique et historique s'impose.

Un peu de géographie

La Polynésie française

Les îles Marquises font partie intégrante de la Polynésie française; celle-ci s'étend dans le Pacifique Sud sur un territoire maritime aussi vaste que l'Europe, permettant à la France de s'enorgueillir d'en posséder le deuxième plus vaste du monde.

Cinq archipels constituent la Polynésie française :

  • A l'Ouest, les îles de la Société, sans doute les plus connues, divisées en îles du Vent autour de Tahiti et îles sous le vent, autour de Bora Bora,
  • ­Au Nord-est, les Marquises, comprenant une dizaine d'îles,
  • Entre les deux précédents, l'archipel des Tuamotu, simples atolls constitués d'une barrière de corail enfermant un lagon; l'archipel en comporte 76 dont certains, comme Rangiroa, pourraient contenir l'île de Tahiti toute entière,
  • L'archipel des Gambier, situé dans le prolongement des Tuamotu sur un axe nord-ouest sud-est à environ 1700 km de ces derniers,
  • Enfin, les îles Australes qui, comme leur nom l'indique, se situent les plus au Sud à environ 600 km de Tahiti et ne comportent que cinq îles habitées.

Toutes ces îles sont d'origine volcanique, mais toutes ne sont pas au même degré de maturité; pour comprendre la différence de nature qui peut exister entre elles, il faut comprendre le mécanisme de formation et d'évolution au cours de leurs millions d'années d'existence :

A l'origine, les éruptions volcaniques sous-marines font émerger des îles, hautes et basaltiques, qui récupéreront les précipitations en altitude et formeront par érosion des vallées fertiles dans lesquelles se développera une végétation luxuriante; c'est le cas des îles Marquises qui en sont à ce stade, en faisant les îles les plus récentes de Polynésie.

Puis, au fil du temps, se développe en périphérie une base récifale créée par le corail qui colonise les rivages, en même temps que se produit la subsidence, c'est-à-dire l'enfoncement des îles dans le plancher océanique sous leur propre poids. C'est le stade actuel par exemple des îles de la Société, alliant montagne et lagon.

Enfin, dernier stade, la montagne s'enfonce complètement et disparaît, ne laissant plus que la couronne corallienne enfermant un lagon et sur laquelle sont disséminés des îlots très bas (3 à 4 mètres seulement) appelés motu; entre les motus se situent des bras de mer généralement peu profonds, les hoa, certains, mais rares, constituant des passes permettant aux navires d'accéder dans le lagon. Le sol de ces îlots est essentiellement calcaire et saturé de sel donc très pauvre. Les cocotiers constituent l'essentiel de leur végétation. C'est aujourd'hui le stade des Tuamotu qui sont donc les îles les plus anciennes, ou plutôt ce qui en reste!

Les Marquises

Situées les plus à l'Est de la Polynésie, ce sont celles qui, en général, sont abordées en premier par les navigateurs en provenance de Panama, des Galapagos ou du continent américain.

On distingue deux groupes d'îles :

  • Les îles du Nord, comprenant Nuku-Hiva, la plus grande et la plus peuplée, Ua-Huka et Ua-Pou; trois autres îles en font partie mais ne sont pas habitées : Eiao, où un certain Georges Decaunes tenta une expérience de vie de Robinson à laquelle il dut renoncer rapidement, Hatutu et Motu One.
  • Les îles du Sud avec Hiva-Oa, la plus connue, Tahuata et la plus Sud, Fatu-Hiva connue pour une baie unique et grandiose, la baie des Vierges.

Comme nous l'avons déjà indiqué, il s'agit des îles volcaniques montagneuses les plus récentes géologiquement; bénéficiant d'un climat équatorial à peu près constant, chaud et humide, la végétation y est luxuriante. Le vent, rarement fort, souffle principalement de secteur Est et, dernier élément transformant définitivement ces îles en paradis, les phénomènes cycloniques y sont inconnus!

Un peu d'histoire

La découverte de ses îles est attribuée au navigateur espagnol Alvaro Mendana de Neira en juillet 1595; il tenta en vain de débarquer sur Fatu-Hiva, repoussé par les autochtones et ne resta qu'une dizaine de jours sur l'île de Tahuata, voisine de Nuku-Hiva.

Il fallut attendre près de deux siècles pour que Cook redécouvre le groupe Sud des îles en 1774; il séjourna également quelques jours sur Tahuata.

C'est en 1791 que le navigateur français Etienne Marchand prit possession, au nom de Louis XVI qu'il ne savait pas alors déposé, du groupe Nord des îles Marquises.

Pourtant, aucune de ces découvertes ne fut suivie d'occupation permanente; ce sont les premiers évangélisateurs, protestants d'abord, qui s'y essayèrent sans succès devant l'hostilité des indigènes; puis les américains à leur tour tentèrent en 1813 d'y installer une base militaire, sans plus de succès : Les indigènes devaient être de farouches combattants!

D'autres missions protestantes connurent le même sort dans les années 1820, mais ce n'est qu'en 1838 que des prêtres catholiques furent déposés par Dupetit-Thouars; ils connurent un meilleur sort puisqu'ils étaient encore là lorsque, quatre années plus tard, Dupetit-Thouars revint prendre possession des marquises au nom de Louis-Philippe.

Ces îles étaient pourtant bien connues des baleiniers qui venaient piller leurs ressources. Pendant près d'un demi-siècle, la population marquisienne fut presque décimée par les maladies "importées" par les occidentaux et par les guerres tribales entre les différentes vallées. Le cannibalisme était d'ailleurs en vogue à l'époque : malheur au prisonnier ou à celui que l'on sacrifiait en offrande aux Dieux; il finissait dans la marmite et n'était dégusté que par les hommes de haute condition, les yeux constituant les mets de choix…

C'est ainsi que la population estimée à l'époque à 60 000 habitants, chuta à 2 094 en 1921 lors d'un recensement. Aujourd'hui, elle est revenue à un niveau de 10 000 habitants; le cannibalisme a disparu, mais le tatouage qui avait été interdit par les missionnaires est à nouveau en vogue.

HIVA-OA

C'est donc le 4 juin 2009 que nous mouillâmes dans le petit port d'Atuona, distant de 4 kilomètres du village du même nom, "capitale" de l'île. Le mouillage était bien encombré, une quinzaine de bateaux de toute nationalité y étant déjà installés, avec double mouillage avant et arrière pour ne pas éviter en cas de changement de vent. C'était donc pour nous l'occasion d'étrenner notre mouillage arrière, constitué d'une ancre légère aluminium Foblight de 8 kg et de 50 mètres de ligne plombée.

A peine installés, nous mîmes l'annexe à l'eau et décidâmes de partir à pied au village pour faire nos premières reconnaissances ainsi que notre déclaration d'arrivée à la gendarmerie. Mais le ressac au ponton de débarquement était tel que l'annexe venait raguer en permanence sur le béton grossier du quai; aussi le captain décida-t-il de retourner au bateau chercher le grappin de l'annexe pour lui faire également un mouillage arrière et lui éviter de venir buter sur le quai. Ainsi, pas de jaloux, bateau et annexe étaient soumis au même régime!

Une fois débarqués, c'était donc nos premiers pas depuis dix huit jours de mer; pas de problème cependant, personne ne fut soumis au mal de terre! La première impression était favorable : un environnement montagneux, une végétation luxuriante, des fleurs à profusion et surtout quelque chose que l'on remarquera sur chacune des îles marquisiennes, un entretien sans faille et une propreté qui saute aux yeux.

La route qui mène au village contourne la baie du port, monte sur le cap séparant cette baie de la baie d'Atuona puis redescend vers le village. Il faisait chaud, mais une chaleur agréable, pas étouffante. Le village lui-même est assez étendu; curieusement et comme nous le constaterons aussi ailleurs, il n'y a pas vraiment de centre où tout serait regroupé comme dans nos campagnes : l'église, la mairie, l'école, la banque, la poste et les commerces de proximité. Il s'étend en longueur le long de sa baie, puis le long d'une route partant vers l'intérieur de l'île. C'est donc au hasard de nos musardises que nous découvrirons tout ce dont nous aurons besoin, y compris la gendarmerie, flambant neuve, mais ressemblant à un camp retranché entouré de grillage et d'interphones; il ne manquait plus que les barbelés et les miradors! Comme intégration à la population locale, on fait mieux, mais peut-être est-ce le résultat du syndrome corse?…

Le captain appuie sur le bouton de l'interphone et entend en réponse quelque chose comme :

"Veuillez patienter, ici la gendarmerie nationale, nous allons donner suite à votre appel"

Ne voyant rien venir, il ré-appuie plusieurs fois jusqu'à ce qu'un gendarme sorte et demande de loin de quoi il s'agit. A notre réponse, nous avons droit à :

"Nous n'effectuons les formalités d'entrée que les lundi, mercredi et vendredi matin de 7h à 11h; revenez demain!"

C'est vrai, nous étions jeudi et nous n'imaginions pas que dans ce bled ces pauvres gendarmes étaient si débordés! Dire qu'une partie de nos impôts sert à payer à ces messieurs des surprimes invraisemblables et tellement alléchantes qu'ils se battent tous pour être mutés dans les îles, notamment avant la retraite! Restons calmes, nous referons demain matin huit kilomètres à pieds pour venir faire ces p… de paperasseries.

Nous repèrerons ainsi la poste, la banque où nous retirerons des francs pacifiques (1 euro équivaut à peu près à 120 FP), les deux petits supermarchés, le musée Paul Gauguin et le centre Jacques Brel; les dames du bord dégoteront même un salon de coiffure pour se faire refaire une beauté le lendemain en vue de la fête des mères…

De retour au port, nous croiserons le couple de brésiliens occupant le catamaran ancré à côté d'Olympe; ils ont la quarantaine, sont accompagnés de leur fille de treize ans, sont fort sympathiques comme tous les brésiliens; ils se prénomment Hugo et Ghislaine et leur fille Tali. Ghislaine a commencé à apprendre le français et aimerait le pratiquer un peu: qu'à cela ne tienne, ils sont aussitôt invités à prendre l'apéritif à bord d'Olympe le lendemain soir.

Vendredi 5 juin, nous voilà repartis à Atuona faire les formalités, acheter quelques approvisionnements et visiter le musée Gauguin et l'espace Jacques Brel; la journée se terminera par la visite du petit cimetière d'Atuona qui domine la mer et par la location d'un véhicule 4x4 pour le samedi après-midi et le dimanche.

Après quatre kilomètres à pieds, le captain, serein, appuie sur le bouton de l'interphone de la gendarmerie; "Veuillez patienter…"; il est 8 heures du matin et on n'a pas envie de patienter longtemps, on a autre chose à faire! Au bout de plusieurs tentatives, un gendarme répond et demande de quoi il s'agit, puis, à notre demande de formalités d'entrée, répond qu'ils n'ont pas le temps ce matin, qu'ils doivent aller à l'aéroport et nous demande de revenir le lundi suivant!

Les bras nous en tombent! On se croirait revenu, dans un autre genre, sur l'île d'Antigua…Il faut vraiment avoir envie d'être en règle pour supporter ce parcours du combattant; clandestins de tous les pays, venez à Hiva-Oa, vous n'aurez pas de soucis! Le captain répond qu'il ne reviendra pas lundi, car nous appareillerons pour l'île de Fatu-Hiva. Pas de problème lui répond-on, vous êtes citoyen français et vous n'aurez qu'à faire vos démarches à Nuku-Hiva; ça tombe bien, on a prévu d'y aller après Fatu-Hiva! Sinon?

Après cet intermède déconcertant, nous nous sommes détendus en visitant successivement l'espace Jacques Brel, aménagé dans un hangar où son avion,"Jojo", y a été restauré par la société Dassault Aviation et où l'on peut lire sur des panneaux fort bien faits des extraits de certains interviews et l'histoire de son "exil" à Atuona, loin des clameurs de la foule. On apprend ainsi qu'il était en fait fort timide, surtout avec les femmes, que sa conception de la vie était de toujours aller de l'avant, de faire quelque chose pour les autres; c'est ainsi qu'arrivé aux Marquises, il a beaucoup aidé la population en militant pour elle auprès des instances centrales de Tahiti, estimant, probablement à juste raison, que la manne financière de la France n'était pas équitablement répartie; il mit aussi souvent son avion à disposition pour le transport des malades, des médicaments ou des colis urgents.

Vivant dans une modeste petite maison qu'il avait louée avec sa compagne, il s'était merveilleusement intégré à la population qui lui a rendu hommage avec ce centre qui lui est aujourd'hui consacré. Il est aujourd'hui enterré au petit cimetière d'Atuona, non loin de la tombe de Gauguin, aussi simple dans la mort qu'il le fut dans sa vie. A côté de celle-ci, ces quelques mots gravés sur une plaque :

Passant,
Homme de voiles,
Homme d'étoiles,
Ce troubadour enchanta nos vies
De la Mer du Nord
Aux Marquises;
Le poète,
Du bleu de son éternité,
Te remercie
De ton passage.


Puis nous rentrâmes dans le musée Gauguin, situé juste à côté dans un parc magnifiquement entretenu; les bâtiments eux-mêmes, récents, sont d'une très belle architecture, jusqu'à la "Maison du jouir", l'atelier de l'artiste qui a été reconstitué à l'emplacement même où il se trouvait autrefois.

Le musée ne comporte que des reproductions de ses toiles si caractéristiques. Le peintre avait un style qui lui était propre pour représenter les scènes de la vie polynésienne et les portraits des vahinés. Que l'on aime ou pas, il fut reconnu par ses pairs et a une place indiscutable dans l'Histoire de la peinture.

Le soir, nous eûmes donc la visite de nos nouveaux amis brésiliens; ils nous expliquèrent qu'ils avaient pris la décision de quitter définitivement le Brésil où la vie est trop difficile : même avec un bon métier (Hugo est informaticien), et en travaillant dur, on n'a pas de quoi vivre décemment tant les prélèvements de toute sorte sont astronomiques (pire qu'en France apparemment!); en tout cas, il n'y a aucune possibilité d'épargner. Comme de plus l'école publique, gratuite, est d'un très mauvais niveau, ils avaient mis leur fille dans le privé, très cher, et ne s'en sortaient plus; ils ont donc tout vendu, ont acheté un bateau et partent vers la Nouvelle Zélande ou l'Australie où Hugo espère trouver du travail.

Mais Hugo n'était pas venu les mains vides; ayant appris que nous devions revenir en France en longeant les côtes du Brésil, il nous apporta en cadeau toute sa collection de cartes marines du Brésil; leur décision de quitter leur pays était sans appel! Nous passâmes une très bonne soirée, mélangeant l'anglais, l'espagnol, le français et un peu de portugais pour nous comprendre. Leur courage, leur optimisme et leur détermination ont fait notre admiration. Nous aimerions bien les retrouver en Nouvelle Zélande où nous devrions arriver à la même époque; aussi avons-nous échangé nos adresses électroniques pour pouvoir communiquer.

Le lendemain en début d'après-midi, nous prenions possession d'un superbe 4x4 pour une journée et demi de découverte de l'île; nous nous demandions en arrivant pourquoi le parc automobile était constitué exclusivement de ce type de véhicule : nous n'allions pas tarder à le savoir!

Nous partîmes aussitôt vers le sud-ouest de l'île, vers la baie et le village de Taaoa, où un site historique digne d'intérêt nous avait été signalé. Là aussi, agréable surprise, le village comme ses abords sont remarquablement coquets. Le temps de visiter la petite église et, pour Maryse, d'entretenir son relationnel en discutant avec des enfants, nous voilà repartis vers le site du Marae de Taaoa.

Les Marae, aux racines de la société polynésienne

Bien plus qu'un temple où l'on vénère son ou ses dieux, les marae étaient le siège de toutes les décisions et cérémonies de la société polynésienne traditionnelle avant l'arrivée des premiers colons, soit jusqu'à la fin du 18ème siècle.

Les anciens polynésiens étaient polythéistes : chaque île, chaque tribu, ou corps de métier possédait ses dieux. C'est sur les marae qu'ils venaient donc les honorer en leur demandant d'influencer favorablement les évènements. Des offrandes leur étaient faites, allant jusqu'aux sacrifices humains.

Chaque dieu était symbolisé par une sculpture en pierre sensée le représenter et appelée tiki; seuls les prêtres, les tahu'a, pouvaient accomplir ces rituels et demander aux dieux le mana, force divine responsable de la santé, de l'équilibre de la fertilité,…

La conception architecturale des marae était toujours sensiblement la même : un parvis, ou cour rectangulaire en pierre dans laquelle était implanté un autel, le ahu, en pierres dressées, blocs de basalte ou dalles de corail. Au centre se trouvaient des pierres en forme de dossiers où les prêtres et le chef s'installaient pour prier. Autour étaient disposés les unu, sculptures de bois aux formes géométriques représentant des hommes ou des animaux; ils symbolisaient les familles auxquelles appartenaient les marae. Enfin, de nombreuses constructions entouraient le marae : maison des pirogues, maison des morts, maison des dieux ou maison des trésors.

Les marae, longtemps abandonnés à la végétation, font aujourd'hui l'objet de restaurations soignées, comme si les polynésiens prenaient conscience de l'importance de retrouver leurs racines.

Le marae de Taaoa se situe en pleine forêt; on y accède facilement après quelques hectomètres de piste. Seul inconvénient, le lieu est infesté de moustiques très virulents et nous en reviendrons couverts de piqûres! C'était le premier que nous visitions et nous étions étonnés de voir ces masses de pierres qu'il avait fallu transporter avec des moyens certainement rudimentaires; cela n'était pas sans nous rappeler d'autres œuvres mystiques de ce genre tels les alignements de menhirs en Bretagne ou encore les statues de l'île de Pâques.

Dans le silence de la forêt, cet endroit était emprunt de majesté; on ne pouvait qu'être recueilli à la pensée de tout ce qui avait pu s'y passer, de prières, d'offrandes, de sacrifices.

En rentrant au bateau, nous profiterons du véhicule pour faire les réapprovisionnements du bord auprès des deux petites épiceries d'Atuona; les prix y sont très élevés, surtout si l'on veut manger les produits venant de France! Nous rejoindrons ensuite le bateau en nous grattant jusqu'au sang pour tenter en vain de soulager l'irritation de nos piqûres : la prochaine fois, c'est sûr, nous n'oublierons pas de nous enduire de produit répulsif! Le soir, les hommes du bord, toujours aux petits soins pour leurs conjointes, les emmenèrent à un dîner dansant organisé par un restaurant d'Atuona à l'occasion de la fête des mères…

Le lendemain dimanche, nous avions décidé de rallier le village de Puamau situé à l'opposé, au Nord-est de l'île. Il possède en effet l'autre site de marae important de l'île et, accessoirement, un restaurant conseillé par notre guide, "chez Marie-Antoinette"! Munis du semblant de carte obtenu à l'office du tourisme, nous empruntâmes la route de l'aéroport (plutôt de l'aérodrome) qui monte en serpentant dans les contreforts situés au Nord d'Atunoa; plutôt en bon état, réalisée en béton, elle changea vite d'aspect dès l'embranchement de l'aéroport passé pour devenir une piste de terre d'abord carrossable mais qui le devint de moins en moins! D'où la nécessité de véhicules 4x4 pour circuler dans l'île…


Arrivés sur la côte Nord, la piste contourne les fjords au ras des falaises et le captain devait se concentrer sur le bas-côté de la piste pour ne pas avoir le vertige! Nous nous arrêterons cependant plusieurs fois pour profiter du spectacle magnifique de cette côte sous un soleil chaud et radieux. C'est cependant avec un certain soulagement que nous atteindrons vers 11h30 le village de Puamau qui, comme la veille celui de Taaoa, était magnifiquement entretenu : les espaces verts tondus, les haies taillées, des fleurs cultivées à profusion, les sols ratissés; les marquisiens aiment leurs îles et les entretiennent à merveille.

Le temps d'aller marcher sur la très belle plage (les plages sont rares aux Marquises, les côtes étant abruptes et escarpées), de rencontrer un beau marquisien (c'est Maryse qui le dit) se promenant à cheval pour lui demander le chemin du restaurant et nous voilà attablés pour déguster les spécialités locales : poisson cru au lait de coco, chèvre au curry, cochon sauvage, banane confite, café à la vanille, le tout accompagné de jus de papaye mais aussi de bière tahitienne…

Nous y ferons la connaissance d'une guide locale accompagnant un petit groupe de touristes de son hôtel, très érudite et pleine d'humour, qui nous accompagnera sur le site archéologique Lipona situé non loin du restaurant. Ce site, contrairement à celui de la veille, était particulièrement fourni en tikis, ces statues de pierres représentant des dieux. Nous y ressentirons les mêmes sentiments que la veille, emprunts de recueillement.

Sur la route du retour, on devrait plutôt dire sur la piste du retour, nous obliquâmes vers le nord de l'île en direction de la baie d'Hanaiapa et du village fleuri du même nom; même étonnement et même admiration à la vue de ce village aussi coquet et entretenu que les précédents. Le captain sera le seul à se baigner sur la plage de galets et de sable noir avant de s'arrêter dans une petite maison au style très local, ouverte aux quatre vents et tenu par un couple de français, Jean et Nadine Oberlin, venus s'installer il y a une vingtaine d'années d'abord dans un endroit isolé de la baie voisine, en bord de plage, puis dans cette maison où ils ont installé leur atelier d'artisanat : tapas et sculptures sur bois de haute facture y sont élaborés avec soins et amour.

Après avoir rendu la voiture, nous rentrâmes "à la maison" pour notre dernière soirée à Hiva-Oa qui nous avait enchanté, tant par la beauté de ses paysages que par l'accueil de ses habitants. Les Marquises semblaient bien être cet Eden chanté par le "Grand Jacques". Le lendemain matin, nous appareillâmes pour l'île la plus australe, Fatu-Hiva.

FATU-HIVA

46 milles seulement nous aurons été nécessaires pour atteindre Fatu-Hiva; ils seront parcourus en un peu moins de huit heures dans la journée du 8 juin; c'est vers 15 heures que nous pénètrerons dans la célèbre baie Hanavave, ou baie des Vierges, encore appelée baie des Verges en raisons des pics basaltiques surmontés de proéminences qui ne sont pas sans rappeler le symbole de la virilité!

L'île de Fatu-Hiva, la plus Sud des Marquises, est aussi l'une des moins peuplée (800 habitants environ); elle est très élevée compte tenu de sa petite taille, les sommets s'étalant de 850 à 1100 mètres d'altitude. Ses falaises sont très escarpées, rendant l'accès et le débarquement très difficiles; seuls, deux baies situées sur la côte Ouest permettent un mouillage d'ailleurs assez peu sûrs compte tenu de la nature des fonds et des violentes rafales de vent débouchant des vallées : la baie d'Omoa, le village principal, et la baie Hanavave. Cette dernière est d'une beauté sauvage unique; très ouverte, elle n'est guère abritée de la houle, mais celle-ci aura la bonne idée d'être assez légère pendant notre séjour. Seul, un bateau américain était mouillé dans la baie; il s'agissait d'un couple de californiens que nous rencontrerons le lendemain.

Une petite digue en pierres a été construite récemment au fond de la baie, permettant d'accoster avec les annexes et de les y laisser amarrées; le premier soir, Michel et le captain partirent ainsi en reconnaissance du village et du chemin conduisant à une belle cascade que nous avions projetée de visiter le lendemain. Derrière le petit quai de débarquement se situait en effet un petit village de 300 âmes qui s'étirait le long d'une rivière serpentant entre les parois hautes, abruptes et resserrées de roches sculptées par l'érosion, cachant le soleil et donnant une impression d'étouffement. C'était beau, sauvage mais oppressant.

A chaque fois que nous rencontrions un villageois (plus souvent des villageoises d'ailleurs, mais ce n'est qu'un hasard!), celui-ci nous saluait, nous disait bonjour et entamait une conversation pour savoir d'où nous venions, combien de temps nous comptions rester, si nous avions l'intention de faire nos approvisionnements sur place, si nous pouvions passer chez lui voir les tapas qu'ils fabriquait, etc…Manifestement, dans cet endroit reculé du monde, les habitants ont besoin de contacts et se trouvaient très heureux de pouvoir rencontrer des étrangers venus d'ailleurs. Nous en croisâmes plusieurs qui allaient à leur répétition de chants et de danses en vue des fêtes marquisiennes qui devaient se dérouler à Hiva-Oa quelques semaines plus tard.

De retour à bord, nous pûmes admirer notre premier coucher de soleil local derrière le bateau, le spectacle étant toujours aussi beau!

Le lendemain, nous partîmes tous les quatre pour une randonnée de quatre heures afin d'aller admirer une chute d'eau à l'intérieur de la vallée; nous retraversâmes le village, petit mais possédant son église, son école, sa mairie, sa salle des fêtes et son séchoir de copra; nous étions arrêtés par chaque passant pour discuter, ce qui prenait évidemment beaucoup plus de temps que la veille compte tenu de la présence des femmes…

Puis nous commençâmes à monter les derniers hectomètres de la route bétonnée et rencontrâmes une marquisienne et sa fille en train de nettoyer leur terrain; bien évidemment, la conversation s'engage puis elles nous demandent si nous n'avons pas quelque chose à échanger contre des fruits de leur jardin; Maryse se charge de la négociation et, affaire conclue, nous prendrons au retour des fruits qu'elles nous auront préparés contre des bonbons, des tee-shirts et des échantillons de produits de beauté que l'on ramènera le lendemain lors de notre deuxième randonnée.

         
Peu après la route devient piste que nous quittons rapidement pour obliquer vers la forêt qui domine la rivière et dont un sentier, d'ailleurs fort mal balisé, devait nous conduire à la cascade. Nous y rencontrerons les deux californiens qui en revenaient et passerons devant une habitation sommaire faite de bois et de tôle ondulée devant laquelle se prélassaient deux cochons sauvages dans une marre de boue; c'est au bout de deux heures de tâtonnement que nous atteindrons la fameuse cascade, pas bien spectaculaire d'ailleurs, mais oh combien rafraîchissante : elle se déversait dans une piscine naturelle dans laquelle Michel et le captain prendront un bon bain; Quant à Maryse, elle réussira l'exploit de se faire pincer les pieds par une écrevisse, ce qui la découragera définitivement de se baigner, de même que Martine qui aura aperçu des anguilles qu'elle prenait d'abord pour des murènes!

Au retour, une brouette entière de fruits nous attendait, remplie de deux régimes de bananes, de citrons verts, d'énormes pamplemousses et de mangues! Bien entendu, nous ne pûmes pas tout emporter, mais ramenâmes tout de même un régime de bananes que nous accrochâmes à la bôme de l'artimon et quantité de pamplemousses et citrons verts qui s'avèreront délicieux. Arrivés à l'annexe, nous eûmes la mauvaise surprise de constater que l'on nous avait volé l'aussière toute neuve dont on s'était servi pour rallonger le bout d'amarrage : on ne s'attendait vraiment pas à ce genre de chose ici!

Le plus dur nous attendait le lendemain; nous avions projeté de rejoindre le village principal de l'île, Omoa, situé dans la vallée voisine; notre guide parlait d'une ballade de 4 à 6 heures, sans préciser qu'il ne s'agissait que de l'aller! Mais dans le doute, nous avions prévu de partir tôt, à 6h30 du matin, pour effectuer la montée "à la fraîche"; nous avions pris soin également de réserver une table à la seule pension du village, "Chez Lionel", pour le midi.

Après avoir apporté notre troc à notre généreuse donatrice de fruits, nous continuâmes l'ascension de la piste vers le col situé entre les deux vallées; au bout d'une heure de marche, nous atteignîmes un petit calvaire avec une source d'eau douce et fraîche qui était la bienvenue, puis nous continuâmes notre ascension dans un paysage magnifique et grandiose qui n'était pas sans nous rappeler l'île de Santo Antao au Cap Vert, les cannes à sucre en moins mais les cocotiers en plus!

Au fur et à mesure que nous gagnions de l'altitude, la végétation changeait radicalement; il y avait de moins en moins d'arbres, remplacés par une végétation basse genre steppe de Patagonie ou d'Asie centrale! Au bout de trois heures, nous montions encore, commençant à engendrer quelques réflexions sur l'opportunité d'une bonne bière bien fraîche…Quand nous pensions atteindre le col, ce n'était qu'illusion, la descente qui suivait laissant vite la place à une nouvelle montée plus longue. Nous fîmes une halte salutaire à ce que nous pensions être la mi-parcours, dans un abri sommaire en bord de chemin.

Mais bientôt la récompense arriva, la descente dans l'autre vallée avec la vue sur le village d'Omoa. Si la montée peut être dure pour le souffle, la descente peut l'être pour les articulations des genoux; malgré tout, nous atteignîmes sans encombre mais assoiffés et un peu fourbus le village côté mer à 11h30. Restait à trouver la pension "Chez Lionel".

"C'est la dernière maison tout au fond de la vallée" nous déclara un autochtone!

Là, le découragement en effleura plus d'un…Mais, une demi-heure plus tard seulement, nous nous affalions à notre table; Michel garde encore un souvenir ému de la bière bien fraîche qu'il ingurgita d'un trait!

Comme chez "Marie-Antoinette", nous y mangerons les spécialités locales, absolument délicieuses; notre hôte, Lionel, nous offrit également un régime de bananes après qu'un vote parfaitement démocratique ait tranché par trois voix contre une que nous ne rentrerions pas à pieds mais en bateau taxi!

C'est donc dans une barque en aluminium motorisée qu'un jeune marquisien nous ramena dans la baie d'Hanavave en longeant la côte, nous faisant visiter chaque crique qui la bordait, s'approchant parfois un peu près des falaises aux pieds desquelles venait briser la houle du large. Nous avions adoré l'île côté terre, nous la trouvions tout aussi belle côté mer.
Rentrés au bateau, nous nous apprêtions à passer notre dernière soirée dans cette île de rêve : oui, les Marquises sont vraiment très belles! Nous avions en effet décidé de mettre le cap sur la plus grande des îles Marquises, Nuku-Hiva, en faisant halte pour une nuit sur l'île Ua-Pou qui se trouvait sur la route.

UA-POU

Partis le 11 juin à 13h40 de Fatu-Hiva, c'est le lendemain matin à 8h20 que nous mouillâmes dans la baie d'Hakahau à Ua-Pou, 108 milles plus loin, après une traversée tranquille au cours de laquelle voiles et moteur prirent plusieurs fois le relais.

En arrivant au large de Ua-Pou au petit matin, nous fûmes pris de regrets de ne pas avoir prévu de temps pour visiter cette île tant elle est belle vue de la mer : avec ses pics basaltiques (une douzaine) dénommés les piliers du ciel sur lesquels restent accrochée une couronne nuageuse, elle dégage une harmonie mais aussi un air étrange qui fait tout de suite penser à l'île mystérieuse! Elle semble toutefois plus aride que ses voisines plus hautes en altitude.

A peine arrivés, nous voilà débarqués sur la plage, direction le village d'Hakahau où règne une effervescence inhabituelle; renseignement pris, l'île reçoit ce jour là la visite du Haut Commissaire de la République venu se rendre compte de l'avancement et de la suite donnée aux financements alloués par notre belle République : c'est encourageant de voir qu'il y a au moins un suivi de l'utilisation des deniers du contribuable…

De ce point de vue, on s'aperçoit aussitôt en parcourant le front de mer où ont bien pu passer ces deniers : l'école et la mairie sont flambant neuves. Nous assistâmes à une partie de la cérémonie d'accueil, d'abord faite par des enfants en costume traditionnel, puis par le maire d'Hakahau qui a également des responsabilités au gouvernement de la Polynésie basé à Tahiti; ce fut ensuite la réponse du Haut Commissaire qui, avec une aisance parfaite dans un discours manifestement improvisé, a su parler dix minutes pour ne rien dire conformément aux us et coutumes énarquiens…; en fait, vous l'aurez bien compris, ce n'est pas une critique d'une partie de l'élite de la nation, mais c'est le genre de ces manifestations officielles que de ne dire que des banalités encensantes pour ses hôtes.

La seule phrase intéressante que nous avons aimée aura été prononcée par une enfant en introduction à la cérémonie : "Monsieur le Commissaire, vous êtes venu avec vos différences, vous repartirez avec nos ressemblances".

Un petit passage ensuite dans un cybercafé, et nous retournerons au bateau, le village ne nous ayant pas paru digne d'un grand intérêt; aussi confirmerons-nous après vote notre départ le lendemain matin pour l'île principale de l'archipel, Nuku-Hiva.

NUKU-HIVA

C'est à 8h35 que nous quitterons donc Ua-Pou le 13 juin pour nous rendre, directement et sur un seul bord, dans la baie de Taiohae située sur la côte Sud de Nuku-Hiva, 27 milles plus loin, poussés par un léger vent d'est nord-est de force 3. A voir l'état d'une partie de l'équipage pendant cette courte traversée, on pourrait croire que la fatigue accumulée des derniers jours nécessitait une profonde récupération, à moins que ce ne fût le travail intense du bronzage qui battait son plein!


Baie de Taiohae

C'est à l'heure du déjeuner que nous mouillâmes dans la plus grande baie de l'île, devant le village du même nom qui se trouve être la capitale administrative des Marquises; une trentaine de bateaux y sont déjà installés, mais il y a largement assez de place pour tout le monde.

Après le déjeuner, nous prendrons l'annexe pour nous rendre au village, en faire une première découverte et… tenter d'effectuer enfin les formalités d'entrée en Polynésie! Comme sur Hiva-Oa, le village est tout en longueur le long de la baie et de sa plage de sable noir; les bâtiments publics, mairie, centre administratif de l'archipel, hôpital, gendarmerie sont situés à l'extrémité est de la baie tandis que les commerces d'alimentation et l'église sont situés à l'ouest.

A la gendarmerie, ouverte au public et non "bunkérisée" comme à Hiva Oa, nous serons reçus par une "gendarmette" très aimable qui effectuera aussitôt nos formalités et nous donnera des conseils pour rendre notre séjour agréable; quelle différence avec Hiva-Oa! Nous ne nous gênerons d'ailleurs pas pour lui dire la façon de travailler de ses collègues… Elle nous laissera alors entendre qu'elle récupère ainsi beaucoup de travail non effectué à Hiva-Oa et qu'il va être nécessaire de "mieux se coordonner" : même dans la gendarmerie, on emploie le langage politiquement correct!

Puis, en continuant nos repérages, nous ferons quelques courses et trouverons un prestataire de services aux navigateurs qui se chargera de faire remplir nos bouteilles de gaz.

Le lendemain, dimanche, nous nous sommes promenés jusqu'à l'extrémité ouest de la baie; en passant près de l'église, nous avons assisté à la sortie des communions des jeunes polynésiens, tous habillés de blanc et accompagnés de leurs familles endimanchées, le tout dans un décors de carte postale. Nous nous étonnerons du parc automobile, constitué essentiellement de gros 4x4 japonais, récents et rutilants. De quoi donc vivent ces marquisiens? Ce n'est certainement pas les maigres revenus de la culture du copra qui peut permettre un tel luxe; à moins qu'il ne s'agisse des véhicules des nombreux fonctionnaires de la ville, capitale de l'archipel!

Nous passerons une nouvelle journée à Taiohae au cours de laquelle nous partirons faire une petite randonnée le long de la côte est de la baie, d'abord en longeant route et chemin, puis en empruntant un sentier balisé nous conduisant, à travers un sous-bois, à la pointe sud-est de l'entrée de la baie sur la Pointe Arquée. De là, nous pûmes admirer un panorama dominant toute la baie et les mouillages des bateaux.

Anse Hakatea

C'est le jeudi 18 juin que nous quitterons provisoirement la baie de Taiohae pour faire le tour de l'île en bateau et découvrir ses superbes mouillages. Nous mouillerons le jour même dans l'anse Hakatea située dans la baie de Taioa à 6 milles environ à l'ouest; cette anse, extrêmement protégée, est invisible du large et offre un mouillage exceptionnel à l'abri de tous les vents et de toutes les directions de la houle, dans une sorte de cirque entouré de montagnes et bordée au fond par une belle plage de sable doré. Le paradis du navigateur, en quelque sorte! Elle est aussi connue sous le nom de Daniel's Bay, du nom du marquisien qui y vivait au bord de la plage et que chaque navigateur rencontrait.

Nous y resterons deux jours, nous permettant ainsi le lendemain d'effectuer une superbe randonnée vers l'une des plus hautes cascades des Marquises, la cascade de Vaipo, 350 mètres de chute dans un décor fabuleux. Au départ, on traverse le village d'Hakaui qui était à l'abandon ces dernières années, mais qui retrouve depuis peu une nouvelle vie grâce à quelques familles venues s'y réinstaller. Bordé par une cocoteraie, il est merveilleusement fleuri et entretenu; nous y rencontrerons Tanguy, un marquisien aux tatouages impressionnants, et sa compagne qui nous inviteront à échanger des fruits contre divers échantillons, chocolats, savonnettes et bonbons. Le troc se fera le soir au retour.

Puis nous longerons la rivière, la traversant par trois fois grâce à des gués un peu sommaires, passerons entre les pics de basaltes dressés le long des parois montagneuses, nous enfoncerons dans une gorge très resserrée avant d'arriver au bout de deux heures de marche à la fameuse cascade dont on ne voit à son pied que les derniers mètres de chute d'eau! C'est en cours de route que nous l'apercevrons le mieux dans sa presque totalité. Mais les paysages sont vraiment grandioses, et ce mélange de douceur verdoyante et fleurie avec les pics vertigineux bordant les montagnes ont fait de cette ballade l'une des plus belles qui nous ait été donnée de faire.

Après le retour au bateau pour chercher les objets du troc, c'est en annexe que nous repartîmes vers le village d'Hakaui, en remontant sur quelques hectomètres un bras de la rivière que nous avions suivie, jusqu'à la "maison" de Tanguy. Nous reçûmes en échange des pamplemousses, des citrons verts, des oranges, des fruits de l'arbre à pain et un régime de bananes!

C'est donc avec regret que nous quittâmes ce paradis pour continuer notre tour de l'île et gagner la côte nord abritant de nombreux mouillages; nous longeâmes tout d'abord la côte ouest en nous arrêtant pour déjeuner dans la baie Haahopu bordée d'une très belle et rare plage de sable blanc formant une langue dunaire assez haute; c'est un phénomène géologique assez étrange pour les lieux. Derrière cette dune, seuls les mâts d'Olympe apparaîtront pour la photo souvenir.

Après un bon bain de mer et un déjeuner qui ne l'était pas moins, nous contournâmes la pointe nord-ouest de l'île pour longer la côte nord, d'abord plate au niveau de la région dénommée "Terre Déserte" où se trouve l'aérodrome, puis escarpée et constituée d'une succession de baies, pratiquement des fjords, dans le décor sublime de ces pics de basalte reflétant une belle lumière dans le soleil déclinant. C'est en fin d'après-midi, après une trentaine de milles parcourus, que nous mouillerons au fond de la baie d'Anaho derrière une pointe rendant le mouillage invisible du large. Cinq ou six bateaux étaient déjà ancrés à cet endroit recommandé par le guide de navigation.

Baie d'Anaho

Cette baie est le meilleur abri de la côte nord; elle est bordée au fond par une barrière corallienne protégeant une plage à laquelle on ne peut accéder qu'en annexe par un étroit chenal, la passe Teavauua. Elle se situe juste après la baie de Hatiheu, principal village du nord de l'île, qui est moins abritée. Mais la ballade qui rejoint les deux baies par un chemin muletier étant recommandée, nous la programmerons pour le surlendemain sans oublier de réserver notre déjeuner chez Yvonne, l'une des meilleures tables de l'île.

Entre temps, nous aborderons le rivage où nous rencontrerons Diego, un jeune marquisien qui nous expliquera qu'il est heureux de vivre ici, qu'en travaillant deux semaines par mois en ramassant et préparant le copra, il gagne aussi bien sa vie que s'il partait à Papeete, la ville "enfer" où bruit, embouteillages, insécurité et pollution sont lots communs! Il ne sera d'ailleurs pas le seul à nous tenir ce discours que nous entendrons à de nombreuses reprises tant aux Marquises qu'aux îles de la Société…

Nous rencontrerons également un breton qui navigue depuis vingt ans, avec près de 300 000 milles à son compteur (!) et qui a jeté son sac en Polynésie avec sa nouvelle compagne canadienne que nous avions pris initialement (sans gaffer toutefois) pour… sa fille!! Il donnera au captain quelques conseils avisés pour contourner plus tard l'Australie par l'est à l'intérieur de la grande barrière de corail.

Le lendemain, fête des pères, les moussaillonnes avaient préparé un repas amélioré qui imposa une bonne sieste avant de tenter de trouver, mais sans succès, des langoustes au fond de l'eau le long de la côte rocheuse.

C'est le lundi 22 juin que nous nous rendîmes dans le village d'Hatiheu situé dans la baie voisine; pour emprunter le chemin muletier qui y mène, il faut d'abord longer la plage jusqu'à son extrémité ouest, plage bordée de massifs de fleurs sauvages du plus bel effet; on emprunte ensuite le chemin qui monte en serpentant à 300 mètres d'altitude jusqu'au relais de télécommunication, offrant une vue d'ensemble de la baie d'Anaho.

C'est ensuite la descente à travers une forêt de manguiers; par endroit, on ne savait plus où mettre les pieds pour éviter les centaines de fruits tombés au sol! Avec Maryse, nous ne pûmes nous empêcher de penser à une certaine Monique qui adore ces fruits…

Après un peu plus d'une heure et demie de marche, nous arrivons dans le magnifique village de Hatiheu bordant une somptueuse plage de sable blond; au concours des villages fleuris de France, il aurait sans doute l'un des premiers prix! Ce village respire la douceur de vivre dans un cadre idyllique; tout y est : la mer étincelante, la plage de rêve, les cocotiers et les fleurs à profusion et même la montagne avec ses pics de basalte aux formes acérées. Michel, sous le charme, se promet d'y revenir, un jour…

Les habitants sont accueillants, parlent facilement et nous indiquent la direction des deux sites récemment restaurés : le tohua Hikokua et le centre de cérémonie de Kanuihei. Comme nous étions en avance pour le déjeuner, nous décidâmes de nous y rendre illico à l'exception de Maryse qui avait trop envie de se baigner.

Il fallut aller jusqu'à l'autre extrémité du village pour emprunter la route qui monte dans la vallée; chacun de ces deux sites, très étendus, étaient fournis de tikis de toute taille; ce village devait avoir été autrefois un centre important de l'île, sinon de l'archipel. Lors du retour au centre du village, nous avions de superbes vues sur les pics situés côté ouest de la baie.

Le repas nous permit ensuite de déguster les excellentes langoustes que nous n'avions pas réussi à pêcher la veille! Le retour s'effectua sans problème à une allure digestive et, arrivés au bateau, les hommes piquèrent une tête dans une eau bien rafraîchissante, même si sa température devait frôler les 30°! Ils en profitèrent pour nettoyer la coque qui commençait à se salir au dessus de la ligne de flottaison.

Les meilleures choses ayant une fin, il fallut le lendemain lever l'ancre pour continuer notre tour de l'île : passer la pointe nord-est, descendre, au près serré et dans une mer agitée, la côte est non protégée et ne possédant aucun abri, puis contourner la pointe sud-est, le Cap Martin, accompagnés par un banc de dauphins qui sautaient dans les remous du cap, pour enfin arriver dans la baie du Contrôleur.

Baie du Contrôleur

Cette grande et profonde baie ouverte vers le sud-est se divise en trois anses qui peuvent chacune faire un excellent mouillage; nous choisirons celle du milieu, non par indécision, mais parce qu'elle permet d'accéder au village de Taipivai en remontant en annexe une jolie rivière sur 500 mètres.

Le temps s'était malheureusement couvert, les nuages ayant été amenés par la petite dépression qui s'était levée dans la nuit précédente. Aussi, le mouillage n'était pas très confortable et nous décidâmes de ne pas perdre de temps et de gagner aussitôt, malgré l'heure avancée, le village de Taipivai pour pouvoir repartir le lendemain matin et regagner notre point de départ, la baie de Taiohae.

Le passage de l'embouchure de la rivière fut passé de justesse car la passe est peu profonde et ne peut se franchir qu'à partir d'une certaine heure de la marée; une fois l'obstacle franchi, nous nous retrouvâmes sur un vrai lac où les cocotiers se reflétaient comme dans un miroir.

Le village par lui-même offre peu d'intérêt; étiré le long de la route, il était beaucoup moins joli que tous ceux qui nous avaient été donnés de voir jusqu'alors. Seul invariant, la gentillesse de la population avec laquelle on entame la conversation à la moindre occasion; deux petites filles espiègles nous poseront de nombreuses questions sur notre périple et nous raconteront leur vie avant de repartir chez elle deux kilomètres plus en amont dans la vallée.

Nous rentrerons au bateau à la tombée de la nuit et lèverons l'ancre dès le lendemain matin pour regagner la "capitale" Taiohae et y passer notre dernière journée marquisienne; c'est à regret que nous quittions ces îles merveilleuses et authentiques, encore loin des sentiers touristiques de masse; au cours de ces trois semaines, non, nous n'avions pas été déçus, bien au contraire! Ces îles constituent une étape incontournable pour tout navigateur croisant dans le Pacifique.

Cette dernière journée sera consacrée à faire les derniers approvisionnements et à consulter les derniers fichiers météo en vue de la traversée vers les Tuamotu. Ceux-ci étaient bons et prévoyaient un vent portant de 15 à 20 nœuds, c'est-à-dire des conditions idéales. C'est donc le jeudi 25 juin à 9h15 que nous appareillâmes pour l'atoll de Rangiroa situé à quelques 560 milles au sud-ouest des Marquises. Nous étions loin d'imaginer que nous allions connaître les pires conditions de mer depuis notre départ de Saint-Malo!

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