OLYMPE AUTOUR DU MONDE

 

ÎLE DE PÂQUES

Puisque le bateau se fait refaire une santé à Tahiti, que faire pour "tuer" le temps? Et pourquoi ne pas transformer ce décalage d'un an de notre programme en opportunité de visiter des coins qui n'étaient pas prévus au programme initial?

Mais de Tahiti tout est loin! Il y a bien sûr d'autres archipels de la Polynésie française, mais nous les découvrirons plus tard avec Olympe. Finalement une idée s'est révélée presque comme une évidence : un lieu magique qui pose aux hommes depuis des siècles des énigmes encore inexpliquées, une terre dont les occupants ont bien failli tous disparaître, préfigurant peut-être ce qui nous attend si nous ne prenons pas garde à notre planète, l'île habitée la plus isolée du monde : Rapa Nui plus connue sous le nom d'île de Pâques.

Et tant que nous y sommes et que nous avons le temps, nous pousserons un peu plus à l'est pour une visite du Chili qui fera l'objet d'une relation spécifique.

Un peu de géographie

Située dans le Pacifique sud, un peu en dessous du tropique du Capricorne, l'île de Pâques est distante de 3800 km des côtes chiliennes et de 4100 km de Tahiti; la terre la plus proche est l'île de Pitcairn à 2000 km dans son nord-ouest.

Elle constitue le point sud-est du triangle polynésien dans le Pacifique avec Hawaï et la Nouvelle Zélande.

Elle a la forme d'un triangle presque isocèle dont le plus grand côté mesure 24 km pour respectivement 16 et 17 km pour les deux autres. D'origine volcanique, elle s'est formée en trois étapes; tout d'abord, il y a 2 million d'années, un premier volcan surgit de l'océan, le Poike. Puis, quelques centaines de millier d'années plus tard, un second volcan, le Rano Kao, surgit à son tour de l'océan pour former une deuxième île proche de la première. Ce n'est qu'il y a 240 000 ans qu'un troisième volcan, le Maunga Taravaka, sommet de l'île avec ses 511 mètres, fait irruption; ses coulées de lave rejoignent alors les deux précédents pour ne former qu'une seule île, chacun des volcans étant situé dans les angles du triangle. Une dizaine d'autres cratères de taille plus modestes viendront par la suite modeler le paysage.

Le climat est de type subtropical, la température variant de 18°C à 24°C avec une faible pluviométrie se répartissant tout au long de l'année. La végétation se compose essentiellement d'herbes et d'eucalyptus excepté autour du seul village de l'île, Hanga Roa, où quelques variétés d'arbres ont été importées au cours du 20ème siècle : bananiers, mûriers et figuiers. Ce paysage semble parfois aride mais nous verrons dans la partie historique qu'il n'en a pas toujours été ainsi.

Les 3900 habitants vivent tous regroupés dans l'unique village de Hanga Roa situé au sud-ouest, 60% de la surface de l'île étant constitué en parc naturel. Ils sont à 70% originaires de l'île, les 30% restants étant des chiliens du continent.

Enfin, il n'y a pas d'animaux endémiques sur l'île; les seules espèces présentes ont été introduites par l'homme : poules, rats, moutons, vaches et bien sûr chevaux que l'on rencontre nombreux en pleine nature et qui servent de moyen de locomotion privilégié aux pascuans, voire aux touristes de passage.

Un peu d'histoire

On ne sait pas encore dater aujourd'hui l'arrivée des premiers hommes sur cette île; ce que l'on sait par contre depuis peu et avec certitude, c'est leur origine. Contrairement à ce qu'a essayé de démontrer le norvégien Thor Heyerdahl avec son expédition du Kon Tiki en 1947, les premiers occupants ne venaient pas du continent sud-américain mais de l'ouest, c'était des polynésiens. Suite logique d'ailleurs du peuplement des îles du Pacifiques à partir du continent asiatique, attestée depuis les récents progrès des analyses génétiques et corroborée par de fortes similitudes culturelles et de langage avec les îles de Polynésie, notamment les Marquises. Les différentes théories datent leur arrivée entre le 5ème et le 12ème siècle, la marge d'erreur est encore grande! Une théorie avancée serait une découverte par des navigateurs de l'archipel des Gambiers qui lui auraient donné le nom de Rapa Nui (Grande Rapa) en comparaison avec l'île de Rapa de l'archipel des Australes. Et puis les premiers missionnaires n'ont-ils pas réussi à se faire comprendre des autochtones en parlant tahitien?

Les occidentaux découvrent cette île grâce au navigateur hollandais Jacob Roggeven en avril 1722, le jour de… Pâques. Il y reste peu de temps et il faut attendre cinquante ans pour qu'un espagnol, Felipe Gonzales y Haedo y fasse escale, trace la première carte et en prenne possession au nom du roi d'Espagne Charles III. Elle fut alors baptisée Isla San Carlos.

En 1774, c'est le capitaine Cook qui mouille près de l'île pour réapprovisionner en vain eau et nourriture; il ne restera que trois jours mais ses descriptions commencèrent à créer le mythe de cette île auprès des occidentaux, notamment avec ces statues dressées de toute part autour de l'île et tournant le dos à la mer. En 1786, c'est l'expédition française de La Pérouse qui atteint l'île, établit des contacts avec les autochtones, offrant chèvres, cochons et brebis et plantant quelques espèces végétales venant d'Europe : choux, carottes, maïs, coton et citrons. La Pérouse n'atteindra jamais son escale suivante, ses bateaux faisant naufrage près des îles Salomon.

Malheureusement pour les Pascuans, les visiteurs suivants furent beaucoup moins attentionnés; il s'agissait d'aventuriers, de baleiniers mais surtout de marchands d'esclaves venant du Pérou qui, en 1862, firent une razzia sur l'île, enlevant 1500 personnes dont l'élite de la société pascuane qui seule gardait la tradition orale des ancêtres. Elles furent déportées principalement dans les mines de guano du Pérou et dans les grandes haciendas et subirent une véritable hécatombe due aux mauvais traitements et aux maladies.

C'est grâce à l'évêque de Tahiti de l'époque, Monseigneur Tepano Jaussen, et avec l'aide du consul de France à Lima qu'une centaine de survivants put entamer le voyage de retour sur l'île, une quinzaine seulement arrivant à destination. Ils apportèrent avec eux la tuberculose et la variole qui décimèrent la plus grande partie de la population : en 1877, on ne comptait plus que 111 Pascuans luttant pour leur survie. Ce que l'on peut appeler un génocide fut fatal à la transmission de la tradition orale qui se perdit à jamais.

Le 9 septembre 1888, le Chili annexait l'île dans le cadre d'un accord avec le chef local Ariki Atamu Tekena, ce qui lui permit de vivre enfin en paix. Le Chili déclara l'île "parc national" en 1935 et, en 1995, l'Unesco lui reconnut le titre d'Héritage mondial de l'humanité.

Notre séjour

C'est le jeudi 18 février 2010 que nous arrivâmes dans la matinée sur l'île de Pâques après cinq heures de vol depuis Tahiti et un décalage horaire de cinq heures également. L'aéroport "international" ne comporte qu'une seule piste financée par les USA, car elle est susceptible d'être un lieu d'atterrissage d'urgence des navettes spatiales américaines.

A la descente de l'avion, première surprise : nous faisons une queue interminable pour passer les postes de police à cause d'un zèle excessif sur le contrôle des trois formulaires que chaque passager avait dû remplir dans l'avion avant l'arrivée; et pan, que je t'en tamponne un, et tiens, que je te fais remplir à nouveau le second, et pan, que je te tamponne le troisième avec le passeport, tout cela pendant que des chiens venaient renifler nos valises avec une dizaine de policiers rodant dans les rangs des patients touristes. Le régime militaire chilien a laissé des traces…

Devant nous, une famille avec deux enfants, soit 4x3=12 formulaires à remplir dans l'avion puis à contrôler au guichet avec les quatre passeports : bien entendu, il leur fallut recommencer une partie de leur devoir pendant que nous pûmes les doubler pour nous entendre dire que nous avions tout bon! Mais nous n'avons plus de mérite vu l'entraînement intensif de ce genre de tracasseries depuis un an et demi; quand on a effectué des formalités à Antigua, on peut tout faire!

Nous passerons ensuite sur l'épisode qui nous valut de nous retrouver dans une pension qui n'était pas la nôtre suite à un quiproquo sur une pancarte sensée indiquer notre nom. Il faudra que le Captain fasse vérifier sa vue…

Une heure plus tard nous voilà enfin dans la bonne pension, "chez Maria Goretti", pour nous entendre dire que nous ne dormirions pas sur place mais dans une annexe située près du bord de mer où on allait nous emmener illico. Par contre, les repas auraient bien lieu chez Maria et un système de navette devrait nous permettre de faire ainsi les allers-retours. Cela nous paraissait bien compliqué et la suite allait nous donner raison…

Bref, vous l'aurez compris, l'organisation n'était pas au top, sans doute un peu dépassée par le succès; et puis nous n'étions pas seuls dans ce cas, la sympathique famille entrevue à l'aéroport partageait notre sort. C'est ainsi que nous avons lié connaissance avec Nancy et Thierry et leurs deux enfants Loren et William, respectivement âgés de 14 et 12 ans. Originaires de Montpellier, ils sont venus à Tahiti voir le frère de Nancy qui vit à Papeete depuis de nombreuses années.

Ahu et Moai :

Un "ahu" est une plateforme surélevée de pierres sur laquelle sont érigées les statues. Un ahu était le lieu de sépultures des anciens chefs de clan et des personnages importants de la société pascuanes; des tombes y ont été découvertes sous les pierres, ne renfermant que les os principaux des défunts. Les gens du peuple étaient incinérés dans un crématoire généralement situé à l'arrière de l'ahu. On compte 272 ahu sur l'île, dont 25 à l'intérieur, mais quelques dizaines seulement comportent des statues. Les ahu étaient également des plateformes cérémonielles comme le marae dans les îles polynésiennes.

Un "moai" est le nom donné aux statues; celles-ci représentent les anciens chefs défunts et non des dieux comme les tikis des Marquises ou des îles de la Société. Elles regardent toujours vers le village qu'elles sont sensées protéger, c'est la raison pour laquelle elles tournent toutes le dos à la mer. La très grande majorité est issue de la carrière du volcan Rano Raraku, sculpté dans le tuf, une pierre tendre et fragile.

Leur morphologie est toujours la même : menton volontaire et saillant, cou assez court, longues oreilles (les pascuans de l'époque se déformaient volontairement le lobe des oreilles), bras le long du corps avec les mains revenant sur le ventre.




En attendant l'heure du déjeuner, nous avons pris notre premier contact avec le site Tahai situé près de notre "annexe"; et là, première émotion forte : c'est tout d'abord le moai de l'ahu Ko Te Riku, le seul de l'île à avoir retrouvé ses yeux (reconstitués) faits de corail blanc et d'obsidienne noire et le seul de ce site à porter une coiffe rouge. Il a l'air énigmatique comme tous ceux que nous verrons par la suite et, tout comme eux, tourne le dos à la mer.

Un peu plus loin, l'ahu Vai Uri et ses cinq statues dont deux partiellement détruites et l'ahu Tahai proprement dit avec son moai très érodé. Ce sont ces trois ahu qui sont fréquemment photographiés au coucher du soleil, l'ouest étant dans leur dos.

Cela nous met l'eau à la bouche et nous avons hâte d'être au lendemain avec le guide qui doit nous accompagner pendant deux jours sur les sites de l'île pour comprendre ce que représentaient ces statues pour ceux qui les ont érigées, comment elles étaient sculptées, transportées et mises en place, pourquoi elles tournent toutes le dos à la mer, à quelle époque elles ont été érigées. De tout cela, il se dégage un mystère que nous aimerions bien percer.

Nous avons également le temps d'apercevoir, à notre grande surprise, sept voiliers mouillés dans la baie au large du village de Hanga Roa. Ce doit être un record car l'île de Pâques est éloignée de toute route maritime; il faut donc vouloir y venir spécifiquement, avec le risque important de ne pouvoir mouiller et débarquer à cause du temps qui peut changer très vite ici, sachant qu'il n'y a pas de port digne de ce nom. Mais pendant la durée de notre séjour le temps restera clément.

Après le déjeuner pris en commun avec les pensionnaires de Maria dans un restaurant près du petit port de pêche, nous irons flâner à la découverte du coquet village de Hanga Roa, ferons le plein de cartes postales et rentrerons dans quelques boutiques d'artisanat présentant toutes des répliques de moai de toute taille, en bois ou en pierre.

Après le dîner du soir, nous retournâmes dormir à notre annexe qui somme toute était très confortable, impatients d'être au lendemain pour la découverte des mystères de cette île.

Vendredi 19, premier jour de visite organisée; c'est Lionel, un français installé sur l'île depuis seize ans, qui allait être notre guide certifié pendant les deux journées à venir. Cette première journée était consacrée au plat de résistance : le circuit des principaux sites de ahu des côtes nord et est, ainsi que de la carrière de construction des moai. Nous traversâmes donc pour commencer l'île du sud au nord par une des rares routes goudronnées pour atteindre au milieu de la côte nord la plage d'Anakena. Cette plage de sable blanc et sa voisine la plage Ovahe sont les seules de l'île. Selon la légende, c'est sur la plage d'Anakena qu'accosta Hotu Matua, le fondateur de la civilisation pascuane, entre l'an 400 et l'an 600 de notre ère.

Cette plage comporte deux ahu :

  • L'ahu Ature Huki, ne comportant qu'une seule statue qui fut redressée par Thor Heyerdahl en 1955 en employant les seuls moyens disponibles à l'époque de la construction des moai; il lui fallut 18 jours pour y parvenir,
  • L'ahu Nau Nau, l'un des plus célèbres de l'île, avec sept moai dont quatre portent une coiffe, le pukao. Ces statues, qui avaient été renversées, ont fait l'objet d'une restauration en 1978 par un archéologue pascuan. Situées en haut de la plage et tournant le dos à la mer dans ce décor naturel magnifique, elles dégagent réellement un pouvoir que nous avons ressenti.

C'est au cours de cette restauration que l'on découvrit que les statues avaient des yeux en retrouvant les restes de morceaux de coraux blancs polis et des disques noirs en obsidienne.

Prenant une piste de terre longeant la côte vers l'est, nous arrivâmes à l'ahu Te Pito Kura intéressant à plus d'un titre; c'est là que se trouve le plus grand moai jamais transporté, sa hauteur totale avoisinant les douze mètres; n'a-t-il jamais été érigé ou a-t-il été renversé, on l'admire aujourd'hui face contre terre. A proximité on peut voir "le nombril de Rapa Nui", un gros galet rond entouré de quatre pierres semblant représenter les quatre points cardinaux. Les anciens y seraient venus puiser leur "mana", l'énergie vitale. Il était aussi fréquent que le cordon ombilical et le placenta des nouveaux nés y soient enterrés pour capter cette énergie.

Poursuivant notre route, nous arrivâmes sur la côte sud-est sur l'ahu le plus prestigieux de l'île, le Tongariki. Comme sur la plupart des sites, les moai y avaient été renversés à l'époque où le culte des ancêtres avait été rejeté par les différents clans de l'île, nous y reviendrons. Pour corser le tout, en 1960 un raz de marée dispersa les ruines sur plusieurs centaines de mètres, rendant les travaux de recherche et de restauration très difficiles. C'est sous la proposition et le mécénat d'une entreprise japonaise (fabricante de grues…) que les travaux de restaurations furent entrepris en 1991. Sous la responsabilité d'un archéologue chilien, ce fut le plus grand chantier archéologique entrepris dans le Pacifique sud. Le résultat en valait la peine; quinze magnifiques moai ont ainsi retrouvé leur place sur l'ahu, lequel est en fait le troisième superposé à deux précédents. Car à sa base, dix-sept autres moai ont été mis en évidence, plus anciens et plus modestes en taille. Le Tongariki est à ce jour le plus grand monument du Pacifique sud.

Après avoir eu bien du mal à nous extraire de la contemplation de ce site extraordinaire, nous nous dirigeâmes à deux kilomètres de là à l'intérieur des terres vers la "mine" de moai, nous voulons parler de la carrière d'où ils étaient sculptés et extraits, le versant du volcan Rano Raraku, "l'un des sites les plus magiques de la planète" selon le guide de Daniel Pardon. La formule n'est pas galvaudée : dès les premiers pas sur le chemin d'accès au flanc du volcan, on aperçoit multitude de moai disséminés sur la pente, enterrés jusqu'à la taille. Ils ont bien été taillés dans la carrière mais jamais transportés sur les sites auxquels ils étaient destinés; leurs cavités orbitales des yeux n'étant pas creusées, on en déduit que ces dernières ne l'étaient qu'une fois que le moai était érigé sur son ahu.

Arrivés au sommet de la carrière, on peut admirer un moai dont la sculpture a été entamée mais non terminée; en fait, les statues étaient sculptées dans la masse, allongées sur le dos, la phase finale consistant à casser le voile de pierre résiduel sous elles. Puis elles étaient disposées dans le sens de la pente du volcan pour les faire glisser plus bas jusque dans des fossés où elles étaient partiellement redressées pour terminer la sculpture du dos. La plupart des statues rencontrées sur le flan du volcan en était à cette étape, les fossés ayant été comblés depuis; c'est la raison pour laquelle elles sont partiellement enterrées.

Comment étaient-elles ensuite transportées sur leur site de destination, c'est encore un mystère; toutes les théories ont encore cours aujourd'hui : debout ou allongées. Le fait est qu'il fallut beaucoup de troncs d'arbres pour les faire rouler et les maintenir; de nombreux troncs fossilisés ont été retrouvés, indiquant qu'autrefois l'île avait été boisée et que cette "folie" du culte des anciens, outre qu'elle fit perdre beaucoup de temps et d'énergie aux habitants, a aussi participé à la déforestation de l'île. A titre indicatif, le poids des moai atteint plusieurs dizaines de tonnes!

De la pente du volcan, on peut admirer de loin le site du Tongariki précédemment visité et ses quinze statues se détachant sur le bleu de l'océan, spectacle toujours aussi surprenant et énigmatique.



Puis nous montâmes au sommet du volcan pour découvrir subitement un paysage complètement différent à l'intérieur du cratère : à l'aridité de la pente du volcan succédait le spectacle d'un lac intérieur, bordé de verdure constituée d'herbes hautes et d'arbustes; d'un côté, le cratère conservait l'aspect de la pente extérieure, avec des moai à demi enterrés; d'un autre côté, c'est une magnifique couleur ocre rouge qui dominait le lac, liée à la nature du sol. Ajoutez à cela des chevaux sauvages magnifiques qui venaient se désaltérer et vous aviez un spectacle unique, d'une beauté rare et plein de sérénité. Nous nous asseyâmes un long moment pour admirer ce tableau presque irréel et tellement inattendu.

Mais il fallut repartir, redescendre au pied du cratère et reprendre notre route jusqu'au site de Akahanga situé à peu près au milieu de la côte sud de l'île. Ce site est intéressant à plus d'un titre car il comporte non seulement des statues renversées de différentes époques , mais aussi des vestiges de ce qui était un ancien village pascuan : grotte naturelle servant d'abri sommaire, fondations de maisons en forme de bateau.

Ces dernières étaient constituées de pierres sur leur pourtour et étaient recouvertes de terre et de végétation; elles étaient très basses, leurs occupants ne pouvant s'y tenir debout. C'est le lendemain que nous verrons les plus abouties sur le site d'Orongo.

Non loin de là se situe une grande statue renversée, l'une des plus belle de l'île et en parfait état. Elle ne possède pas ses yeux, elle était donc en cours de transport et, d'après la tradition orale résiduelle, il s'agirait de la statue destinée à un petit ahu situé à proximité qui serait la tombe de Hotu Matu'a en personne.

Les visites de la journée se terminèrent par ce site et nous rentrâmes à notre pension où nous allions découvrir une chose tout à fait inattendue dont l'existence nous paraissait improbable pour ne pas dire impossible : un apéritif dont nous avons du admettre qu'il était encore plus délicieux que la caïpirinha brésilienne! Il s'agit du Pisco sour, l'apéritif national chilien, élaboré à partir du Pisco, un alcool titrant 35° à 40° élaboré à partir de cépages cultivés dans la partie centrale du Chili; on y ajoute du jus de citron vert, du sucre, de la glace pilée et un blanc d'œuf. On mixte le tout vigoureusement, on sert et on se délecte! Ce fut une véritable révélation!

Samedi 20 février, deuxième jour de visite guidée; au programme, le sud de l'île avec pour commencer l'ahu Vinapu. Ce dernier est intéressant par la présence d'un mur de pierres taillées et parfaitement ajustées rappelant les constructions incas du Pérou. Il n'en fallait pas davantage pour que des théories s'élaborent sur l'origine sud-américaine des premiers habitants de l'île dont on sait aujourd'hui qu'elles sont fausses.



Puis ce fut la montée vers le site cérémoniel d'Orongo sur les pentes du volcan Rano Kau situé à la pointe sud-ouest de l'île; ce site est remarquable à plus d'un titre : il s'agit d'un ancien village dont les maisons bateaux (une cinquantaine) ont été restaurées en 1974; ce village domine l'océan du haut de la falaise de 300 mètres et les trois îlots Motu Nui, Motu Iti et Motu Kao Kao au large de la pointe. On y trouve également de nombreux pétroglyphes représentant l'homme oiseau, le dieu Maké Maké ou encore des sexes féminins stylisés.

S'approchant du bord du cratère, nous pûmes à nouveau admirer un magnifique panorama avec le lac au fond du cratère, la mince épaisseur de la paroi du volcan et son à-pic côté océan, la verdure du site du village d'Orongo et la vue plongeante sur les trois îlots. Il fut bien difficile de nous extraire d'un tel endroit pour continuer notre visite.

Celle-ci continua l'après-midi par la visite du site Puna Pau d'où étaient extraites puis façonnées les coiffes des quelques moai qui en portaient, les pukao. Cette roche rouge est faite de scories volcaniques, donc très tendre. Cela ne les empêchait pas de peser entre 9 et 12 tonnes!

Ce fut ensuite la visite de l'un des rares ahu situés à l'intérieur de l'île, l'ahu Akivi; sept magnifiques moai y sont érigés dans un décors presque normand : des vaches paissent en effet non loin de là près d'un champ de culture d'ananas qui lui n'a rien de normand! Mais avez-vous remarqué que les moai sont toujours en nombre impair? Nous n'en avons nulle part trouvé l'explication.

Nous terminerons la journée par la visite d'un lavatube situé au centre de l'île, sorte de tunnel façonné par les coulées de lave dont le refroidissement superficiel est plus important que le cœur qui continue de s'écouler dessous. C'est un phénomène que nous avions également constaté sur l'île Isabela aux Galapagos.

Ce sera ensuite le retour à notre pension pour nous retrouver autour de notre nouvelle passion dégustative : un Pisco sour!

Le lendemain dimanche était quartier libre. Nous en profiterons pour visiter l'excellent musée de l'île situé à deux pas de notre "annexe", ce qui nous permettra de réviser toutes les connaissances transmises par notre guide Lionel. Ce sera ensuite une promenade à pied dans le village de Hanga Roa au cours de laquelle nous achèterons quelques souvenirs. Nous visiterons également la petite église à la sortie de la messe dominicale.

Nous aurons une dernière conversation avec Maria, notre logeuse, qui nous confirmera être née sur l'île; lui disant qu'elle était donc une vraie pascuane, elle nous répondit énervée :

"Ne me dîtes pas que je suis une pascuane, ce nom nous a été donné par les chiliens! Je suis une rapa nui".

Voilà s'il en était besoin une preuve des racines auxquelles ces îliens sont persuadés appartenir : ce sont des polynésiens.

L'après-midi, nous retournerons à la plage d'Anakena pour à la fois revoir les moai monter la garde de ce merveilleux endroit et profiter d'un bon bain dans l'océan à la température toujours si douce. Nous y croiserons Anna Maria, une chilienne vivant à Santiago qui, apprenant que nous devions y passer, nous proposa avec gentillesse et insistance de l'appeler lorsque nous serions sur place pour nous aider à découvrir la ville. Nous y retrouverons également Nancy, Thierry et leurs enfants qui nous demanderons de passer les voir à Montpellier si jamais nous passions par là!

Le soir, nous irons dîner dans le restaurant "du Bout du Monde" situé à l'ouest près du complexe de Tahai, ce qui nous permettra de prendre quelques photos de moai à contre jour du soleil couchant.

Le lendemain matin, ce fut le transfert à l'aéroport pour quitter cette île mystérieuse et pleine d'attraits; le voyage en valait vraiment la peine. Nous prenions l'avion pour Santiago du Chili où nous étions loin de nous douter de ce qui nous attendait : un des six tremblements de terre les plus violents depuis un siècle!

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Le culte de l'homme oiseau

Entre l'arrivée des premiers découvreurs au début du 18ème siècle qui constatèrent les moai debout, et l'arrivée des premiers missionnaires au 19ème siècle qui les constatèrent couchés, que s'était-il passé?

Le culte des ancêtres qui avait conduit à l'édification de ces énormes statues avait également conduit les pascuans à la révolte : à bout d'énergie, ayant consommé pratiquement toute la forêt de l'île, ils entrèrent en révolte et les différents clans se livrèrent une guerre sans merci qui contribua à un premier dépeuplement. Au cours de ces guerres, le grand jeu consistait à aller démolir les moai et ahu des clans voisins.

Mais l'homme ayant toujours besoin de croire en quelque chose qui le dépasse, les pascuans remplacèrent un culte par un autre : au culte des ancêtres ils substituèrent le culte de l'homme oiseau. C'est précisément au village d'Orongo que ce culte s'exerçait une fois par an pour désigner le Tangata Manu, l'Homme-Oiseau, qui aurait le pouvoir pendant l'année entière. La sélection était sévère : elle consistait pour les prétendants à faire escalader la falaise par un de leur serviteur pour partir à la nage sur le Motu Nui et attendre à l'abri de petites cavernes la ponte du premier œuf de sterne, oiseau de mer migrateur qui vient se reproduire chaque année sur ces îlots. Le premier qui arrivait à ramener un œuf à son maître permettait à celui-ci d'être le Tangata Manu pour un an, devenant le grand prêtre de Make Make.