OLYMPE AUTOUR DU MONDE

BALI - ÎLE MAURICE

Le choix de la route et pourquoi une si longue étape

De là où nous sommes, la route la plus courte pour rentrer à la maison serait de se diriger vers les îles Maldives puis la Mer Rouge pour rejoindre la Méditerranée via le canal de Suez. C'est en tout cas ce que faisaient les tour-du-mondistes il y a quelques années de cela. Seulement voilà, depuis la piraterie en mer s'est largement développée dans cette zone, d'abord près des côtes de la Somalie puis de plus en plus loin au large. Ce phénomène, loin d'être endigué, s'accroît d'année en année et il concerne tout autant les bateaux de commerce que les bateaux de croisière. Les prises d'otages et malheureusement le nombre de tués sont en constante augmentation.

Aussi, malgré une surveillance de la zone par plusieurs marines nationales dont la marine française, est-il plus sage de rentrer en contournant l'Afrique du Sud par le Cap de Bonne Espérance : au risque de la piraterie, les croiseurs préfèrent désormais les grosses vagues du "Cap des Tempêtes" comme le nommaient les anciens navigateurs.

La traversée de l'océan indien vers le sud est donc très longue et généralement très inconfortable : en effet, une forte houle de sud permanente provoquée par les tempêtes de l'océan antarctique croise la mer du vent en provoquant une mer croisée et dure.

Les escales possibles sont en outre réduites : Christmas Island et Cocos Keeling, deux îles australiennes, sont situées presque sur la route directe. Mais voilà, venant d'Indonésie, il nous faudrait à nouveau faire des formalités d'entrée australiennes, se faire confisquer la plupart de l'avitaillement réalisé à Bali tout en se faisant taxer de 350 dollars ! Pas question, d'autant que le temps nous est compté pour la suite du parcours afin de respecter l'étroite fenêtre météo permettant de relier les îles Mascareignes à l'Afrique du Sud.

Cependant, le captain adressera tout de même un mail aux douanes australiennes pour les informer que nous n'avions pas l'intention de nous arrêter aux Cocos Keeling sauf pour incident technique et joindra donc tous les renseignements nécessaires pour cette éventualité ; moins d'une heure après, il recevra des douanes australiennes la réponse suivante :

"Good Evening Jean-Pierre

The Australian Customs and Border Protection Service acknowledges and appreciates your advice regarding your voyage Benoa Harbour to Mauritius Island (Cocos Keeling Is if experiencing problems). Your details have been forwarded to the relevant Customs Office.
Have a safe voyage!"
Regards...... "

Classe les douaniers australiens non?

Il nous fallait donc nous faire une raison et accepter cette longue étape : 3 442 milles sur la route directe, soit 6 374 km, et s'attendre à une étape inconfortable ; seule consolation, les guides indiquent que l'alizé de la mousson de sud-est en cette saison est bien établi, qu'il souffle fort, souvent à la limite du coup de vent et dans la bonne direction ; à des allures comprises entre vent de travers et largue, voire grand largue, nous devrions donc avancer vite !

Il est aussi indiqué que le phénomène de mer croisée va en diminuant dans la fin du parcours en se rapprochant des îles Mascareignes. Nous comptons donc sur un temps de parcours compris entre trois et quatre semaines : l'avitaillement du bord a été réalisé en conséquence.

Que dire quand il n'y a rien à raconter ?

Avez-vous remarqué que dans toutes les histoires qui finissent bien, le bonheur ne se raconte pas ? On peut en effet conter les péripéties et aventures à multiples rebondissements mais, une fois celles-ci terminées, on lit le plus souvent cette simple phrase ; "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" !

Et bien dans le cas de cette traversée sur un bord unique, sans pratiquement aucune rencontre de bateaux, avec peu de rencontres d'animaux marins mis à part les poissons volants que l'on rejetait à l'eau chaque matin, avec peu de changement de voilures, pas de calmes ni de tempêtes, que voulez-vous que l'on vous raconte ?

Que deux des trois remarques des guides se sont avérées exactes :


• L'océan Indien est en effet très inconfortable, la houle croisée transformant la mer souvent en bouilloire avec ses vagues pyramidales provoquant des mouvements brusques et imprévisibles rendant la vie à bord difficile. Les repas en particulier furent parfois épiques mais, à part quelques verres renversés et un œuf sur le plat qui traversa le carré pour atterrir sur les pieds du mousse, rien de bien particulier à signaler sinon quelques bleus dus aux chocs


• Le vent fut également conforme aux prévisions ; la plupart du temps oscillant entre 22 et 28 nœuds, il ne fut réellement gênant que lors des passages de grains qui modifiaient sa direction nous obligeant à le suivre dans ses méandres. Nous n'avons pas connu de vent supérieur à 32 nœuds et avons eu quelques périodes plus calmes entre 10 et 18 nœuds.

•Par contre, la troisième affirmation indiquant que cela devait se calmer progressivement dans la seconde moitié de la traversée s'est révélée inexacte : cette forte houle de 3 à 4 mètres en moyenne ne nous a pas laissé le moindre répit du premier au dernier jour !

Quelques détails tout de même et un record battu

C'est donc le 28 septembre à 10 h que nous larguons la bouée du mouillage de Serangan et nous dirigeons vers la passe de sortie, voyant de près le cargo échoué sur les récifs depuis 5 mois ; plusieurs tentatives de déséchouage ont été tentées en vain avec l'aide de remorqueurs et il y a de fortes chances pour qu'il termine ici sa vie en pourrissant sur place.



Le vent n'est pas violent les deux premiers jours : variant de force 2 à 3, il ne nous permet d'effectuer que 119 puis 123 milles. La houle, si elle se fait sentir n'est pas encore trop forte, ce qui est une bonne transition pour l'amarinage de nos amis Martine et Michel venus nous rejoindre pour cette traversée. C'est aussi durant les deux premières nuits que nous verrons les derniers bateaux avant longtemps, des bateaux de pêche au large des côtes de Java.

Et puis vent et houle vont se renforcer pour ne plus nous quitter jusqu'à l'arrivée ; le 2 octobre, nous recevons nos premières gouttes de pluie depuis que nous avons quitté Cairns en Australie, c'est-à-dire depuis plus de deux mois. Avec les grains, la vitesse va augmenter progressivement jusqu'à la journée du 2 au 3 octobre où nous allons pulvériser notre record de distance parcourue en 24h : 233 milles, soit 9,7 nœuds de moyenne aidés en cela par un courant inattendu !

Le 4, le groupe est démarré pour recharger les batteries mais le filtre de prise d'eau de mer est désamorcé et la turbine de refroidissement du groupe rend l'âme ; c'est le premier incident de la traversée, vite réparé avec l'expérience du premier changement de turbine réalisé entre le Vanuatu et l'Australie.

Le 5, au septième jour, nous atteignons le tiers du parcours confirmant l'hypothèse d'une traversée en trois semaines. Hypothèse à nouveau confirmée dans la journée du 7 lorsqu'il ne nous reste plus "que" 2 000 milles à parcourir et que la distance sur 24h a été de 203 milles.



Chaque étape est l'occasion de fêter l'évènement ; les étapes sont les passages du quart, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des trois quarts du parcours mais aussi les distances "rondes" parcourues : les 1000, 2000, 3000 milles. Inutile de dire que l'ambiance à bord est au beau fixe, d'autant plus que personne n'est malade malgré le bateau transformé en shaker et que Maryse nous concocte des petits plats délicieux : tagine de bœuf aux pruneaux, poulet carottes, bœuf bourguignon, saucisses lentilles, spaghettis bolognaise, cake aux légumes, bœuf carottes, poulet à l'estragon, gâteau au chocolat, muffins, etc : à l'utile est manifestement lié l'agréable !

La nuit du 5 au 6 sera chargée de grains et de pluie ; l'homme ou la femme de quart enfile à nouveau un ciré, le vent, de trois quarts arrière, projetant la pluie dans le cockpit. Au fur et à mesure que l'on gagne dans le sud, les températures nocturnes baissent pour atteindre les 22°C ; on n'est plus habitué !

Dans la matinée du 8 nous atteindrons la mi-parcours avec encore une bonne moyenne journalière à la clé : 192 milles. C'est pendant le quart de Maryse la nuit suivante que nous subirons le vent le plus fort de la traversée avec 32 nœuds mais en gardant tout dessus à part le foc d'artimon.

Pendant ce temps, depuis le départ, Michel et le captain continuent de dévorer d'excellents petits déjeuners : jus de fruit, œufs au bacon, toasts, beurre, confitures et café sous le regard dubitatif et quelque peu réprobateur de ces dames…

C'est dans la nuit du 11 au 12 que nous atteindrons les 2/3 du parcours avec un bateau en pleine forme, se jouant des vagues entre 7 et 9 nœuds. Pour la gestion de l'heure du bord, nous avions décidé de décaler la montre d'une heure à chaque quart du parcours : il y a en effet un décalage horaire de 4 heures entre Bali et l'île Maurice.

Le deuxième incident technique surviendra le 14 lorsque, ayant établi le balooner tangonné, nous voulûmes enrouler la grand-voile ; le chariot situé sur la bôme se mit légèrement de travers et se coinça en faisant des copeaux avec le rail ; nous retrouvâmes alors dans la bôme des bouts de billes cassés. Afin de ne pas aggraver la situation, on décida de se passer de la grand-voile pour les quatre derniers jours, ce qui n'était pas trop pénalisant compte tenu de l'allure par vent presque arrière.

C'est dans la nuit du 15 que nous apercevrons nos premiers bateaux de commerce ; sur les trois rencontrés, deux croisent notre route sur l'avant se dirigeant sans doute vers le cap de Bonne Espérance.

Le 16, nous passerons au nord de l'île Rodrigue sous la pluie ; celle-ci dépend de l'île Maurice mais nous décidons de ne pas nous y arrêter. Deux nouveaux bateaux seront croisés la nuit suivante.

C'est le 17, veille de notre arrivée, que nous connaîtrons notre troisième incident, le plus ennuyeux : on renvoie le balooner, mais le captain s'aperçoit après coup qu'il n'est pas endraillé dans la bonne gorge : il n'est donc pas bloqué dans l'émerillon et peut descendre seul et d'un coup s'il est déventé. On veut alors le redescendre mais impossible : il semble tout de même bloqué en haut, ce qui est inexplicable. Impossible d'envoyer la cloche de déblocage qui se monte dans la gorge dans laquelle le balooner est endraillé par erreur. On ne peut faire autrement que de rouler ensemble génois et balooner pour parer au risque de perte de ce dernier.

Et là, impossible d'enrouler quoique ce soit : le moteur de l'enrouleur tourne dans le vide : les vis qui maintiennent le plateau d'entraînement sont sectionnées et inaccessibles ! Cela n'a rien à voir avec l'erreur d'endraillement du balooner, cela devait arriver un jour ou l'autre mais c'est arrivé au plus mauvais moment…

Mais ce bateau a des ressources; il est possible à l'aide d'un bout repris sur la poupée du guindeau d'enrouler le tout. Mais sans grand-voile et sans voile d'avant, on ne va pas avancer bien vite!

On mettra le moteur en route pour les dernières 30 heures du voyage, avec la voile d'artimon et le foc d'artimon ; le lendemain, la nuit portant conseil, on réussira à regréer la grand-voile sans utiliser le chariot. Et c'est ainsi que nous atteindrons à 16h10 en heure locale le port de la capitale de Maurice, Port-Louis, en s'amarrant au quai des douanes pour les formalités d'arrivée. L'équipage a encore une fois été au top !

Nous aurons ainsi parcouru 3484 milles en 20 jours, 10 heures et 10 minutes à la moyenne de 7,11 nœuds. Nous étions bien sûr très heureux d'arriver mais le mousse comme le captain avaient déjà en tête la future traversée entre l'île de la Réunion et l'Afrique du Sud. Mais ça, ce sera une autre histoire !

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