OLYMPE AUTOUR DU MONDE

 

REMONTEE DE L'AMERIQUE DU SUD

Nous avons effectué cette remontée de l'Amérique du sud de mi-mars à fin avril 2012, entrecoupée de nos différentes escales décrites dans les chapitres correspondants. Il faut distinguer, le long de cette remontée, deux parties distinctes :

  • La première se situe au sud de Récife, plus exactement au sud du cap le plus à l'est de l'Amérique du Sud situé entre Récife et Natal ; sur ce trajet, le courant subtropical sud rejoint le courant du Brésil qui longe la côte en direction du sud-ouest. On l'aura donc dans le nez en permanence. Quant au vent, il est en cette saison souvent variable jusqu'à la latitude de Salvador, les alizés de sud-est prenant ensuite le relais. Nous aurons donc souvent besoin de l'appui du moteur pour progresser dans cette première partie.
  • La seconde se situe donc au nord de la précédente ; cette fois, c'est le courant sud-équatorial qui s'oriente le long de la côte vers le nord-ouest, devenant donc favorable, alors qu'après la zone de convergence intertropicale située au niveau de l'Amazone, les vents dominants sont de nord-est, permettant une progression vent de travers. Dans cette seconde partie, la navigation sera bien sûr bien plus rapide et agréable.

Il faut en outre prendre en considération d'autres facteurs spécifiques aux côtes brésiliennes ; le plateau continental est très étendu par endroit, avec des fonds n'excédant pas 25 à 30 mètres, parfois moins. La première conséquence est l'influence sur les courants marins qui ont tendance à être ralentis sur ces zones, la seconde est la présence de nombreux bateaux de pêche loin des côtes, la plupart du temps petits, en bois donc non visibles au radar et souvent peu, mal ou pas du tout éclairés la nuit. Leur trajectoire est en outre souvent erratique et de nombreux filets souvent peu ou mal signalés parsèment ces zones. On aura donc intérêt à naviguer le plus loin possible des côtes pour éviter ces dangers. Enfin, les nombreux et importants cours d'eau qui se jettent sur la côte, notamment en s'approchant de l'Amazonie, rendent la couleur de l'eau marron et très opaque jusqu'à plusieurs dizaines de milles au large, ne permettant pas de se faire une idée de la profondeur à proximité des rivages.

RIO-iLHEUS (660 nm)



C'est le 16 mars à 8h10 que nous quittons notre mouillage du club naval de Charitas dans la baie de Rio à destination de la ville d'Ilheus où nous attendent des amis de Françoise et Jean-Marie ; le temps est gris, brumeux par endroit. Très vite, nous croiserons des bateaux de pêche locaux nous saluant systématiquement de la main.



Nous passerons près d'une plateforme située à la sortie de la baie de Rio et pourrons "admirer" la couleur de l'eau à proximité ! Rapidement, le Pain de Sucre s'estompera derrière nous, donnant l'image d'une estampe chinoise ou japonaise.

De la sortie de la baie de Rio jusqu'au cap Frio, nous aurons le vent dans le nez et utiliserons le moteur avant de pouvoir prendre un cap nord-est et avancer à la voile. Mais le vent tournant en même temps que la côte dans la soirée, nous utiliserons à nouveau le moteur en appoint jusqu'au petit matin en évitant de nombreux bateaux de pêche toute la nuit, généralement éclairés mais manifestement sans connaître les règles internationales avec les feux de navigations vert à tribord, rouge à bâbord et blanc derrière. La plupart du temps, ils arborent une petite ampoule électrique blanche ou jaune, mais certains pensent qu'ils ont plus de chance d'être repérés en installant de vraies guirlandes de Noël ! Certes, on les voit, mais pour déterminer sur quel bord, Inch Allah !

Au point du lendemain, 154 milles ont été parcourus conformément à la moyenne escomptée. Les deux jours suivants, nous avancerons au près bon plein, allure que n'apprécie manifestement pas Françoise dont le mal de mer s'amplifie d'heure en heure puis, pendant quelques heures, nous pourrons même tangonner le génois, le vent ayant tourné au sud-est.

La nuit du 17 au 18 sera fertile en évènements ; en début de nuit, c'est le pilote automatique qui tombe en panne alors qu'il sort de révision ! En le démontant à Salvador, nous nous apercevrons que le technicien de Niteroï a remonté un pignon à l'envers et la courroie d'entraînement s'est désaccouplée. En attendant, nous barrerons comme au bon vieux temps en se relayant toutes les heures.

Puis, au petit matin, c'est le génois qui s'est retrouvé dans l'eau, le transfilage de la têtière étant rompu ; il ne fut pas facile à trois de le remonter à bord et de le ferler le long des filières tribord.

159 milles sont réalisés lors de la seconde journée mais les conditions de vent et 1,3 nœud de courant contraire nous contraignent le soir du troisième jour à remettre le moteur en marche à faible régime pour soutenir la grand-voile ; il ne nous quittera plus jusqu'à l'arrivée ! C'est ainsi que nous ne parcourrons que 143 milles ce troisième jour, puis 165 le quatrième, le courant ayant baissé d'intensité. Lors de la dernière nuit, nous serons dépassé au ralenti par un paquebot de croisière dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'était pas avare de ses éclairages.

A l'approche d'Ilheus, nous pourrons apercevoir son église récemment restaurée ainsi que les installations portuaires avec d'énormes silos ; à notre grande surprise, nous verrons le paquebot de croisière de la nuit précédente accosté à un quai du port de commerce ; nous n'imaginions pas que cette ville puisse être une destination touristique de cette importance.

A l'arrivée, il fallut longer la digue de protection du port de commerce au fond duquel se situe un petit port de pêche où l'on peut éventuellement mouiller ; nous avons préféré mouiller à l'extérieur du port, devant le petit Iate Club où nous avons posé l'ancre à 13h40. On peut aussi aller mouiller au sud de la ville dans le rio Cachoeira, mais il est nécessaire de bien connaître les lieux pour s'y aventurer.

Peu de temps après notre arrivée, une barque motorisée du Iate Club vint nous chercher, car il n'y a aucun endroit pour laisser une annexe en sécurité. Nous étions arrivé dans l'état de Bahia mais, ne restant à cette escale que deux ou trois jours, nous nous dispensâmes d'effectuer les formalités d'entrée.

Sur les 4 jours et 5h30 nécessaires pour boucler les 660 milles, nous avions utilisé le moteur pendant 62 heures, soit 61% du temps…

ILHEUS-SALVADOR (118 nm)

Nous quittâmes Ilheus le 22 mars en début d'après-midi pour une petite journée de mer afin de rejoindre Salvador ; nous eûmes également une navigation alternée à la voile ou avec voiles et moteur.

Françoise, encore malade, était restée à Ilheus chez ses amis afin de voir un médecin et se reposer ; elle nous rejoindra par avion à Salvador le 26 mars.

L'arrivée sous voile dans la baie de Tous les Saints fut un régal ; mais la première vision que l'on a du littoral et de la ville est pour le moins surprenante : on se croirait arrivant à New-York avec ses gratte-ciel, loin de l'image que l'on se fait de cette ville au riche passé colonial à l'inspiration africaine. C'est oublier que le Brésil est une nouvelle puissance économique en pleine expansion, un pays d'avenir comme on le disait depuis des décennies mais qui semble enfin tenir ses promesses. C'est aussi un pays de contraste où modernité et richesses côtoient misère et favelas comme en témoignent les photos ci-dessous.

Une fois le phare Santo Antônio da Barra, qui marque l'entrée de la baie, passé, nous longerons la côte est de la baie avec un changement progressif du paysage urbain, passant d'immeubles hauts et modernes à un mixage d'immeubles récents et d'habitats individuels défavorisés, puis aux constructions de la vieille ville au niveau du Terminal Náutico.

C'est dans ce dernier que nous déciderons de nous installer, car tout près du centre ville et de l'Elevador Lacerda permettant de gagner la ville haute et ses quartiers historiques. Il est aussi le rendez-vous de tous les voiliers de voyage de toute nationalité à leur arrivée d'une transatlantique. Il existe cependant, un peu avant ce Terminal, une marina moderne et très bien équipée ; mais, outre qu'elle est plus éloignée du centre ville, elle est aujourd'hui pratiquement pleine de bateaux locaux à moteur.

C'est en voulant manœuvrer pour nous positionner en marche arrière au quai du Termina Nautico que la transmission du propulseur d'étrave rendit l'âme ; les manœuvres de Simon's Town dans le vent violent a laissé des traces !

SALVADOR-RECIFE (411 nm) 

Après une semaine de visite de la ville qui nous a régalés, nous relarguons les amarres le 30 mars à 15h pour nous rendre à Recife, capitale de l'état du Pernambuco, pour moins de trois jours de mer ; c'était sans compter sur les ennuis de santé de Françoise qui reprirent de plus belle dès que nous gagnâmes le large.

La majeure partie du trajet se fit avec le moteur pour soutenir les voiles, à moins que ce ne soient les voiles qui soutenaient le moteur ! Le lendemain, l'état de Françoise s'aggravant, nous décidâmes de nous détourner sur Maceio pour mettre fin à son calvaire. Il fallut néanmoins encore 24 heures pour atteindre ce port de commerce de nuit.

Il n'est jamais aisé d'atterrir de nuit dans un endroit inconnu, avec les lumières de la ville qui masquent celles des phares et balises, sans compter quelques cargos au mouillage venant encore perturber l'approche. Il nous sembla en outre, convaincus par la certitude de Jean-Marie, qu'une plate-forme pétrolière non indiquée sur la carte, barrait l'accès au port et qu'il fallait donc se détourner pour en faire le tour. Au bout d'un certain temps il fallut bien reconnaître que non seulement il ne s'agissait pas d'une plate-forme, mais qu'il s'agissait d'un bâtiment situé à terre !

A 20h, nous laissions tomber l'ancre en limite du petit port de pêche situé derrière le port de commerce.



Nous ne verrons que le lendemain matin combien cet endroit était sale et pollué ! Après une nuit réparatrice, nous mîmes l'annexe à l'eau que nous laisserons dans l'enceinte de la Federaçao Alagoana de Vela e Motor avec l'aide d'employés du Club, le temps pour Jean-Marie d'organiser son séjour de 24h avec Françoise et de réserver un bus pour nous rejoindre le lendemain à Recife. Mais nous goûtâmes avec délectation des bières bien glacées, ce qui rappellera des souvenirs à Michel !

Après un déjeuner pris en ville, Maryse et moi regagnâmes le bateau pour relever le mouillage à 15h15 le 2 avril et mettre le cap sur Recife.

Cette fois, le vent virant est sud-est, nous avons pu naviguer à la voile sans le doux bruit du moteur. Il nous fallut moins de 24h pour gagner Recife, en longeant une côte assez plate avec une chaîne montagneuse en arrière plan mais aussi un massif corallien presque continu.

A 22 milles au sud de Recife se situe le nouveau port de commerce, le porto de Suape, reconnaissable à ses grandes grues portuaires et aux nombreux cargos au mouillage au large.

Arrivant devant Recife et ses immeubles tout en hauteur, il fallut contourner par le nord la longue digue de protection de l'ancien port de commerce devant la ville, digue construite sur la barrière corallienne. On entre alors dans le bras de mer où se jettent deux rios et toute leur pollution : nous verrons tous les jours des poissons morts on venant s'asphyxier à la surface de l'eau, ce qui n'empêche pas des pêcheurs à la ligne ou en barque venir jeter leurs filets !

Inutile de pousser jusqu'au Cabanga Iate Club dont les installations sont déplorables et d'accès difficile. Mieux vaut mouiller ou prendre une bouée s'il y en a une disponible devant le Pernambuco Iate Club, modeste mais très accueillant et actuellement en rénovation. Celui-ci est situé à environ un mille de l'entrée du chenal sur bâbord, donc sur la digue, face au pont reliant sur tribord l'île de Recife avec le reste de la ville.

Il était 13h lorsque nous mouillâmes devant le Iate Club, Serge du bateau Kallima étant venu nous saluer et nous conseiller pour notre installation. L'après-midi, le Iate Club s'était débrouillé pour nous libérer une bouée d'amarrage à laquelle nous installâmes Olympe aussitôt.

Il ne nous restait plus qu'à attendre l'arrivée en bus de Françoise et Jean-Marie en fin d'après-midi.

RECIFE - BELEM (1111 nm) 

Voilà une étape intéressante qui fit user beaucoup de salive à bord ! Tout d'abord, il fut décidé de shunter l'étape de Fortaleza qui n'offre finalement rien d'intéressant à visiter si ce n'est ses belles plages ; mais depuis bientôt quatre ans, des plages on a fait le plein ! Tant pis pour la collection de sable du second…

Mais ce qui causa tant de discussions, ce fut le fait de s'arrêter à Belém dont le mouillage est situé à 85 milles nautiques en amont de l'embouchure d'un fleuve amazonien, le fleuve Pará. Pour les conditions générales de navigation sur les fleuves amazoniens en saison des pluies, vous pouvez vous reporter au compte rendu de notre escale brésilienne de Belém.

C'est à 10h25 le matin du 8 avril que nous larguons la bouée du Iate Club du Pernambuco. Les premières heures de navigation se feront au près bon plein, jusqu'à ce que nous dépassions le fameux cap Branco, le plus est des Amériques. Notre cap s'infléchira ensuite progressivement vers le nord, le nord-ouest puis enfin l'ouest nord-ouest permettant de naviguer aux allures portantes. Cerise sur le gâteau, le courant devient aussi favorable et, malgré un vent assez faible, la vitesse sur le fond est tout à fait honorable, atteignant parfois les 9 nœuds.

Le lendemain matin, nous pouvons tangonner le génois sur tribord avec la grand-voile en ciseaux. 161 milles sont franchis les premières 24 heures, mais avec le courant, la vitesse va augmenter, nous permettant d'atteindre 201 milles au largue la deuxième journée.

Le 11 avril, après 178 milles à nouveau parcourus, l'allure devient presque vent arrière et nous gréons le ballooner que nous tangonnons en opposition au génois ; c'est une allure très confortable du bateau qui, bien équilibré, ne roule pratiquement pas et réduit le travail du pilote qui, depuis que nous avons repositionné l'un de ses pignons dans le bon sens, fonctionne parfaitement.

Le 12, alors que nous sommes maintenant loin des côtes, nous croisons tout de même quelques jangades, bateaux de pêche traditionnels à voile. Nous sommes maintenant au largue et avons dégréé le ballooner pour envoyer, en plus du génois, grand-voile, artimon et foc d'artimon. Quelques dauphins viendront également nous rendre visite. La quatrième journée nous aura vus effectuer 165 milles.

Le 13, la navigation est toujours aussi agréable ; mais, la nuit, nous croiserons de nombreux bateaux de pêche venus poser des filets ; ceux-ci sont généralement signalés à une extrémité par une bouée lumineuse, le bateau restant à l'autre extrémité pour surveiller ; mais lorsque l'on se retrouve au milieu d'un champ de filets avec des bouées lumineuses de toute part et des bateaux dans tous les coins, il est parfois bien difficile d'associer une bouée à un bateau et donc de situer avec certitude la position du filet. Ce fut donc une nuit un peu stressante.

Commence alors un casse-tête quasiment insoluble : la gestion de l'heure d'arrivée à l'embouchure du fleuve et la tactique de sa remontée jusqu'à Belém. Car les guides nautiques sont bien gentils mais l'on se demande souvent si leurs auteurs ont déjà navigué ! A moins qu'ils ne prennent ceinture et bretelles pour que leur responsabilité ne puisse être engagée, bien qu'ils prennent tous la précaution d'écrire en préalable à l'ouvrage qu'ils ne sont en rien responsables des erreurs ou omissions de leur document !

Que nous dit-on concernant la remontée du fleuve Pará ?

1. Qu'il vaut mieux se présenter à la première bouée de l'embouchure au petit matin afin d'effectuer la remontée de jour à cause des nombreux déchets végétaux flottants et des filets de pêche barrant le passage, sans compter les nombreux bancs de sable situés à proximité de la route et dont la taille et l'emplacement change au cours de la saison.

2. Qu'il faut en même temps arriver au début du flot pour profiter du courant remontant le fleuve (entre 2 et 3 nœuds, s'il vous plait). Déjà si vous voulez respecter ces deux critères, cela vous donne environ deux à quatre jours par mois seulement, mais ce n'est pas tout.

3. En admettant que vous choisissiez l'un des deux jours mensuels optimum pour entamer la remontée (ce qui n'était pas notre cas), votre vitesse moyenne sur le fond pendant le flot sera d'environ 6 nœuds sur l'eau + 2 nœuds de courant favorable = 8 nœuds pendant 6 heures, hypothèse déjà favorable car le courant n'est pas maximum durant les 6 heures. Soit 48 milles parcourus pendant les 6 heures du flot. Il reste alors 85-48=37 milles à parcourir au jusant à une vitesse de 6-2=4 nœuds sur le fond. Le jour durant 12 heures dans cette région quelle que soit la période de l'année, cela ne vous permet de parcourir en plus de jour que 4 nœuds x 6 heures = 24 milles. Pendant les 12 heures de jours, vous avez donc parcouru dans le meilleur des cas 48+24 = 72 milles. On est donc obligés soit de continuer de nuit pour boucler les 85 milles, soit de mouiller en attendant le lendemain. Oui mais voilà ce que l'on vous écrit en plus :

4. Il n'est pas conseillé de mouiller sur le fleuve de nuit, les fonds n'étant pas de bonne tenue et la sécurité dans ces endroits très aléatoire (ce qui nous sera confirmé par les pêcheurs de Belém qui se font régulièrement pirater).

C'est donc la quadrature du cercle et nos auteurs de guide ne sont pas gênés de se retrancher derrière leurs conseils contradictoires et intenables. Bref, comme d'habitude, c'est dem…dez-vous, ce que nous avons appris à faire depuis longtemps. Et puis, il n'est pas interdit d'avoir un peu de chance ! Après tout, si nous sommes arrivés jusqu'ici indemnes après presque un tour du monde, c'est que nous en avons eu un minimum…

La journée du 14 sera donc consacrée à se rapprocher de la côte pour faire un atterrissage à 8 milles dans le nord du phare de Salinopolis, à 27 milles de la première bouée du canal do Espardate qui symbolise l'entrée du fleuve large de 30 milles (54 km) à cet endroit ! Mais ce n'est pas parce que c'est large que c'est sans danger, car il y a de nombreux bancs de sable et autres hauts fonds parsemant l'estuaire et plus loin le fleuve lui-même.

Nous allons alors trop vite et nous allons réduire les voiles pour nous présenter à la première bouée vers 5h le matin du 15, aux premières lueurs du jour. Mais le courant nous pousse inexorablement et, à moins de mettre en panne et de ne plus maîtriser notre route, nous allons toujours trop vite et arrivons vers 3h du matin à la première bouée. Ce sera notre chance du jour !

En effet, l'entrée du Pará est bien balisée avec le canal do Espardate et nous n'avons eu aucune difficulté à passer entre les bancs de Tijoca et d'Espardate. Au lever du jour, nous étions un peu désorientés de nous savoir sur un fleuve dont on ne voyait qu'une seule rive à bâbord, tant sa largeur est importante. Par contre, nous avons eu rapidement le courant de jusant contraire : nous n'étions pas dans l'un des deux bons jours du mois !

Vers 7h, nous avons croisé nos premiers filets de pêcheurs ; signalés à une extrémité par un fanion et à l'autre par la présence du bateau en attente, cela ne pose pas de problème lorsqu'il n'y en a qu'un. Mais très vite, nous tombâmes dans un vrai labyrinthe avec des fanions et des bateaux partout ! Heureusement, entre le fanion et le bateau, distants parfois de plus d'un mille, on voit en arrivant dessus de petits flotteurs blancs régulièrement espacés. Et vers 7h30, c'est en apercevant au dernier moment ces flotteurs 20 mètres devant le bateau que le moteur s'étouffa et s'arrêta ! Il voulait bien redémarrer au point mort mais refusait de prendre ses tours dès qu'il était en charge.

Premier réflexe du captain, mouiller immédiatement pour éviter que le courant nous emporte on ne sait où. Avec un turbo vieux d'un an, une pompe à injection révisée également il y a un an, un carénage effectué en février en Afrique du Sud avec un nettoyage de l'hélice, il y avait de forte chance pour que ce soit un problème sur le circuit de gasoil ou bien quelque chose qui se serait pris dans l'hélice.

Le second n'en menait pas large mais eut le bon goût de ne pas sortir quelque chose du genre : "je le savais bien qu'il ne fallait pas venir ici…". Jean-Marie tenta de joindre par VHF des pêcheurs qui nous entendirent mais ne bronchèrent pas. Le captain commença alors le démontage et le nettoyage du circuit de gasoil ; ça ne lui disait rien de plonger dans cette eau marron sans visibilité et avec un fort courant pour vérifier l'hélice, et n'avait pas envie que Jean-Marie qui s'était proposé y aille non plus.

Finalement, après avoir nettoyé le préfiltre et changé le filtre de gasoil, le moteur repartit avec toute sa puissance. Pourtant, le filtre n'était qu'à la moitié de sa durée de vie ; conclusion, le gasoil brésilien doit être de piètre qualité !

Cet arrêt imprévu n'arrangeait pas nos affaires, avec deux heures perdues, c'était sûr, il faudrait soit terminer de nuit, soit mouiller quelque part avant la nuit. Sur la carte de détail, nous décelâmes un endroit possible pour mouiller en fin de journée, dans un recoin à l'abri du courant. Quant à la sécurité ?

Nous reprîmes alors notre remontée contre courant, slalomant entre les filets, parfois même arrivant dans des culs de sac nous obligeant à rebrousser chemin. Ce qui est incroyable, c'est que ces braves pêcheurs choisissaient de barrer la route principale des navires plutôt que de poser leurs filets un peu à l'écart.

Et puis, en fin de matinée, le courant contraire commença à diminuer, puis à s'inverser en début d'après-midi. C'est alors que le ciel s'obscurcit subitement, donnant des couleurs irréelles : toutes les nuances de gris dans le ciel jusqu'au noir d'encre, et le fleuve couleur chocolat et café au lait. Cela ne disait rien qui vaille et nous nous attendîmes à une bonne rincée. Mais nous n'imaginions pas qu'elle serait à la fois si violente et si longue.



L'observation du radar était d'ailleurs édifiante : nous étions progressivement encerclés comme dans un étau par cet énorme grain qui se refermait sur nous et qui n'allait plus nous lâcher, avançant avec nous vers l'amont du fleuve et à la même vitesse. Ce sont des trombes d'eau, comme nous en avions rarement vues, qui se déversèrent sur nous ; mais le plus incroyable fut la durée de ce phénomène qui dura 2h30, ce qui paraît très long quand on est dessous. La température avait chuté de 10° en quelques minutes et nous étions presque gelés ! L'eau du fleuve était littéralement aplatie et, bonne nouvelle, le vent de trois quart arrière s'était levé, nous permettant de dérouler le génois. C'est alors entre 9 et 10 nœuds que nous déboulions sans aucune visibilité vers l'amont du fleuve, provoquant une certaine montée d'adrénaline.

Heureusement, nous semblions avoir quitté la zone de pêche, en tout cas nous ne vîmes plus de filets ; d'ailleurs on ne voyait rien du tout. On entendait par contre quelques bruits sur la coque de branchages flottants qu'Olympe télescopait de temps en temps. Inutile de dire que nous fûmes très contents quand le grain cessa enfin et que nous pûmes nous sécher et nous changer car, malgré les vestes de quart que nous avions enfilées, nous étions trempés et frigorifiés. On comprenait mieux aussi pourquoi cette Amazonie est le réservoir d'eau douce de la planète.

Mais le bon côté des choses, c'était que nous avions bien progressés et qu'un courant atteignant 2,5 nœuds nous poussait dans la bonne direction. Avec le moteur que nous avions remis en marche et le génois, nous avancions à plus de 8 nœuds et l'extrapolation de la fin du parcours nous permettait de penser que nous pourrions arriver à destination un peu après la tombée de la nuit. Compte tenu du faible trafic rencontré jusqu'ici, le captain prit la décision de continuer sans s'arrêter au mouillage que nous avions repéré sur la carte.

Nous aperçûmes la ville de Belém au loin un peu avant la tombée du jour ; pour y accéder, il faut quitter le fleuve Pará, remonter le Rio Guamá et contourner la ville pour atteindre le seul mouillage fiable situé au sud-est devant l'hôtel Beira Rio. Mais là, changement de décor ! Le trafic maritime aux alentours de la ville était beaucoup plus dense que sur le fleuve : entre les navettes, les pêcheurs pas du tout éclairés, et des espèces de bateaux mouches hurlant tous les décibels dont ils étaient capables, les derniers milles furent un peu stressants. Mais quel bonheur quand nous avons jeté l'ancre à 19h30 et nous être assurés de sa tenue ! Nous étions enfin aux portes de l'Amazonie.

BELEM - SOURE (54 nm) 

Après l'escale de Belém que nous n'avons pas regrettée, il fallait bien refaire le chemin en sens inverse, descendre le fleuve Pará pour regagner le large et mettre le cap sur la Guyane. Compte tenu de notre expérience de l'aller, cela nous paraissait plus facile dans ce sens, car la sortie du fleuve peut se faire de nuit sans problème. Mais enfin, en y réfléchissant bien, il y avait une alternative intéressante qui peut-être également envisagée à l'aller, c'est une escale à Soure sur l'île de Marajo.

Cette dernière constitue la rive nord du fleuve Pará, le séparant du fleuve Amazone dans le même delta. Les dimensions sont ici à l'échelle du pays : 54 km de large pour le fleuve Pará, quant à l'île Marajo, au centre du delta amazonien, elle est aussi vaste que la Suisse !

De plus, la visite de Soure semble offrir un autre visage du Brésil, d'un autre temps : ce que nous avions pu en lire nous donnait envie d'y faire escale. Le captain n'eut aucun mal à convaincre l'équipage du bien-fondé de cette proposition.

C'est à 5h du matin que nous levâmes le mouillage de Belém afin de profiter du courant de Jusant. Les premiers milles sont la copie conforme de l'aller mais en sens inverse ; c'est une fois sorti du Rio Guamá que nous quitterons la route aller pour prendre plein nord et se rapprocher de l'autre rive du fleuve, passant au sud du banc Coroa Ceca avant de rentrer dans le Rio Paracauri.

Si le courant de jusant nous avait bien aidés pour descendre le fleuve Pará, il nous gêna pour remonter les deux milles du Rio Paracauri avant d'atteindre le mouillage de Soure ; nous longeâmes de près la rive nord, laissant sur tribord la tour carrée du phare balisant l'entrée du rio, et mouillâmes à 14h15 après une navigation au moteur sans soucis.

SOURE - CAYENNE (514 nm) 

C'était la dernière étape sud-américaine, nous faisant quitter cette fois définitivement le Brésil pour retrouver un coin de France ! Remonter ce qui restait du fleuve Pará ne posa pas de problème. Nous quittâmes Soure le 24 avril à 8h du matin pour descendre les derniers milles du fleuve et gagner rapidement le large pour trouver le courant de Guyane qui allait nous propulser à destination. L'inconvénient de cette option fut de nous obliger à naviguer au près pendant cette première journée, et le second n'aime pas le près qui la barbouille…

La vitesse du courant ne fut pas aussi constante que ce à quoi on s'attendait, mais elle varia tout de même de 1 nœud à 3,2 nœuds !



Mais ce 24 avril restera une date qui comptera dans notre périple, celle où à 19h34 en heure locale, soit 22h34 GMT, Olympe franchissait à nouveau l'équateur et regagnait l'hémisphère nord qu'il avait abandonné le 6 mai 2009 la veille de l'arrivée aux îles Galapagos. L'équipage n'étant pas très en forme et l'océan un peu remuant, ce n'est que le 26 que Neptune viendra en personne baptiser Jean-Marie pour son premier passage de l'équateur en bateau, cérémonie clôturée à la caïpirinha !

Mais c'est le 25 vers midi qu'ayant atteint le courant de Guyane nous changerons enfin d'allure en changeant de cap pour une navigation au portant bien plus agréable et rapide. Mais, histoire de ne pas perdre la main, le captain devra changer sa quatrième turbine de refroidissement du groupe électrogène depuis son installation en Nouvelle-Zélande…

Dans la nuit du 26 au 27, on marche entre 8 et 9 nœuds, trop vite pour arriver de jour dans l'étroit chenal qui conduit au port de Dégrad des Cannes au sud de Cayenne ; on doit alors réduire la toile, se rendant compte qu'il faut réduire beaucoup pour ralentir un peu : finalement, on pourrait se contenter de moins de surface de voile, les chantiers pourraient faire ainsi des économies et vendre leur bateau moins cher !

Il est vrai que le chenal est long et étroit et nécessite un dragage permanent ; en outre, le courant de Guyane se faisant encore sentir et étant alors traversier, c'est réellement en crabe que nous avancions pour conserver l'alignement des bouées. Le temps était maussade et pluvieux, ce qu'il sera souvent durant notre séjour.

C'est à 8h15 le vendredi 27 au matin que nous jetâmes l'ancre dans le fleuve Mahury en amont du port de commerce, devant un semblant de marina en ruine abritant des voiliers qui ne valaient pas mieux. Nous étions au milieu de nulle part en étant loin de nous douter que nous allions finalement apprécier cette escale, la dernière du continent américain.

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